mardi 10 juin 2008

27e envoi : France : douce France – Deuxième partie : le Sud

27e envoi: France-douce France : Deuxième partie : le Sud

Deux autres incontournables orientaient notre passage dans le sud de la France : le congrès de l’Association internationale de pédagogie universitaire à Montpellier du 19 eu 22 mai et les contacts avec Daniel Welzer-Lang, un chercheur français qui travaille sur les réalités masculines depuis plusieurs années. Daniel était coorganisateur avec Chantal Zaouche d’un colloque sur « Les hommes et le masculin » qui se tenait le 30 mai à Toulouse.

Aix-en-Provence
Sur la route de Montpellier, nous en avons profité pour arrêter quelques jours à Volx, tout près de Aix-en-Provence, pour rencontrer nos amis Claire et Patrick. Ils habitent un très joli village d’environ 2 300 habitants. Patrick travaille à la mairie et Claire est psychologue. Nous les avons connus par Servas lors de leur passage à Sherbrooke en 2002 avec leurs trois fils Grégoire, Lucas et Quentin. Pour ma part (Jeanne-Mance), quand je raconte une belle expérience avec l’organisation Servas, je donne l’exemple de cette famille. Elle est arrivée chez nous un jeudi soir avec leurs trois adolescents et nous le avions promenés dans quelques endroits importants de la région de Sherbrooke où nous demeurions à l’époque. Je me souviens très bien du plaisir avec cette famille et d’avoir bien ri avec les garçons. Le soir de notre arrivée, comme par hasard, Patrick, qui participe à une chorale, donnait un concert à Aix-en-Provence avec son chœur de chant. Le chœur est spécialisé dans du Gospel. Qui aurait dit qu’en Provence, nous assisterions à un concert de Gospel ! Le samedi, Claire et moi avons fait une petite tournée de Manosque pour voir le marché, les petites boutiques. Le soir, ils avaient invité des amis pour le souper : Daniel et Agnès. Nous avons parlé voyage, projet et bien sûr d’eux-mêmes etc. bref une agréable soirée bien arrosée. Patrick, pour sa part, nous a fait découvrir de magnifiques villages de la région environnante : la Chapelle Ste-Agathe à St-Maime, le village voisin, Dauphin et le Prieuré de Mane. Le village Dauphin est un des plus beaux petits villages de la Haute Provence. Nous nous sommes arrêtés plusieurs fois dans les ruelles pour découvrir des façades du XVème et X111ème siècles. Le village s’ouvre sur un panorama remarquable. Le prieuré de Mane que l’on nomme prieuré Renaissance est situé à Salagon où encore là, on peut y visiter une église du X11ème siècle, une salle romane, des fouilles archéologiques. En après-midi, Claire m’ (Jeanne-Mance) a prêtée sa voiture pour que je complète ma tournée de Manosque. Le dimanche, après un bon déjeuner (le petit déjeuner pour les Français), nous sommes partis tous les quatre pour visiter d’autres beaux coins environnants entre autre Lurs surtout impressionnant par sa cascade d’oliviers. Puis nous avons pris un panaché, il s’agit d’une bière aromatisée d’une limonade; breuvage très rafraichissant. Nous avons adopté cette délicieuse boisson pour le reste de notre voyage en France. Nous avons eu aussi l’opportunité de parler au téléphone avec leurs fils Lucas et Quentin. Dimanche 17 heures, c’était le départ…trop court séjour mais si agréable !

Montpellier
Notre passage à Montpellier était aussi l’occasion de revoir nos amis Agnès et Bernard que nous avions reçus dans le cadre de Servas à Québec en 2006. Ils nous ont invités à passer notre séjour à Montpellier chez eux, dans leur nouvelle maison. Deux ans sans se voir et c’est comme si c’était hier. La philosophie de Servas fait que les gens qui sont membres partagent les mêmes valeurs de paix, justice et de fraternité dans le monde. C’est donc très facile de se connecter rapidement. Après une petite heure de mise à jour (enfants, travail, occupation sociale, etc.), nos discussions ont assez vite touché des choses qui marquent nos quotidiens, nos expériences personnelles enrichissantes, bref, comme on dit au Québec « des vraies affaires ».
Pendant que Gilles participait au congrès, je me suis promenée (toujours à pied) dans le vieux Montpellier, notamment sur la Place de la Comédie, et tout autour. L’Office du Tourisme, comme dans plusieurs pays d’ailleurs, met à la disposition des touristes un circuit à faire à pied pour découvrir dans une ville quelques attraits intéressants. C’est ainsi que j’ai vu la Place Voltaire, la Place du Pérou, la Place Notre Dame de Paris, le Musée des Beaux-Arts, la Place du Ralliement. Il faut dire que Montpellier est une ville universitaire charmante qui est en expansion depuis déjà quelques années. Un nombre important de personnes du Nord de la France, mais aussi des pays plus au nord comme les Pays Bas et de l’Angleterre, viennent s’installer dans le sud de la France pour leur retraite. De plus, plusieurs immigrants, notamment en provenance du Maghreb, viennent aussi s’y installer profitant ainsi d’une température plus clémente. Dans mon cas (Gilles), c’était mon deuxième passage dans cette ville très agréable.
Agnès m’a amenée voir quelque chose de magnifique : un champ de coquelicots. Je m’attendais à ne voir que quelques coquelicots, mais alors là, derrière les barrières, s’étendaient des milliers et des milliers de coquelicots bien encerclés par des arbres. Je n’ai pu cacher mon émotion devant tant de beauté. Elle-même me disait qu’elle avait eu sensiblement la même émotion la première fois qu’elle s’était rendue à cet endroit. Quel moment idéal pour lire, écrire, méditer, réfléchir sur le sens de la vie ! Nous avons marché pendant plus d’une heure autour de ce cercle de coquelicots en s’arrêtant pour parler de nos expériences communes. Elle m’a parlé de leur voyage à Auschwitz où ils ont visité les camps de concentration et d’extinction de Juifs; et je lui ai parlé de mon expérience au musée de l’Apartheid en Afrique du Sud et à celui du génocide au Cambodge. Toutes les deux, nous nous disions qu’il faut se souvenir pour ne pas que cela se reproduise. En après-midi, un peu fatiguée, je (Jeanne-Mance) suis allée au cinéma voir le film Les citronniers, film à ne pas manquer. Bernard, dans le cadre de son travail, organisait un colloque qui rassemblait des producteurs de vins hongrois et français dans le cadre d’un jumelage entre deux régions. Le responsable de la commercialisation du vin hongrois et une interprète logeaient chez eux en même temps que nous. Tous et toutes ensemble, nous avons partagé un repas. Au début du repas, Marc de la Hongrie, a offert un vin de son pays à Agnès et Bernard. Il était debout, la bouteille à la main, et a commencé la présentation du vin par ceci : « Je vous offre un cadeau de la nature, ce vin se nomme Vesparas, qui signifie Vin du soir. Un vin que nous buvons entre la fin du jour et le début de la soirée, moment où l’on est disponible pour que l’âme s’élève vers le ciel». N’est-ce pas d’une grande profondeur ? Je (Jeanne-Mance) l’ai remercié pour m’avoir appris que le vin a une âme. Cet homme dégageait une grande spiritualité.
C’était ma (Gilles) deuxième participation aux congrès de l’Association internationale de pédagogie universitaire, la première étant l’année précédente à Montréal. Ce congrès se déroule selon les règles usuelles des congrès scientifiques avec des séries d’ateliers comprenant des présentations d’une vingtaine de minutes suivies d’une période de questions d’une dizaine de minutes. Cela est relativement court mais permet d’avoir une bonne idée et éventuellement continuer l’échange après l’atelier ou encore par courriel. Un congrès international nous donne l’occasion d’avoir une idée de la situation dans les autres pays, notamment de la France et de l’Europe d’où parvenaient la plupart des participants et participantes. Après ma présentation, une professeure m’a demandé une copie de mon « power point » en me laissant sa carte d’affaire. Le soir, en expédiant le texte par courriel, j’ai bien vu qu’elle était de Grenoble où nous allions ensuite. Je lui ai donc proposé de la rencontrer à ce moment.
J’ (Gilles) ai aussi eu la chance de rencontrer Alain du RHF-Montpellier. Nous avons échangé ensemble pendant plus de deux heures. Alain est aussi un leader pour tout le Réseau puisqu’il organise de temps à autre des ateliers de fin de semaine ou encore une semaine entière avec des hommes du Réseau qui désirent approfondir un thème. L’idée a rapidement fait son bout de chemin lorsqu’il a proposé cette formule de telle sorte que le nombre maximal (une vingtaine) de participants est rapidement atteint à chaque fois.
Le jeudi matin, nous sommes partis avec Agnès qui se rendait à son travail pour prendre l’autobus pour Agde.

Agde
Après Montpellier, nous avions prévu quelques jours de repos au bord de la mer, histoire de refaire nos énergies avant le dernier sprint final et de se retrouver seuls quelques jours. Bien que nous rencontrions des gens tout à fait extraordinaires, cela nous demande beaucoup de concentration, d’adaptation, de disponibilité et de présence. Nous trouvions donc important de refaire le plein. Comme Montpellier se situe tout près de la Méditerranée, nous avions une réservation à Cap d’Agde pour quatre jours. Malheureusement pour nous, même si la pluie est relativement rare dans cette région, il a plu trois jours sur quatre. Pas de veine ! Nous en avons profité pour finaliser le blog sur l’Irlande et commencer celui sur la France. Mais attention ! j’ai (Jeanne-Mance) vu un lever de soleil sur la Méditerranée à 6 heures comme j’en ai rarement vus un au cours de notre voyage. La photo traduit mal ce lever de soleil, imaginez que la boule que vous voyez était rouge comme le feu.

Grenoble
Grenoble ne figurait pas dans notre planification initiale. Cependant, les invitations chaleureuses de Gérard et de Jean du Réseau Hommes Rhône/Alpes nous ont incités à trouver « un trou » dans notre horaire pour passer par Grenoble. Les deux nous offraient à nous loger. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés chez Jean, la même semaine qu’il avait la garde de son fils Thomas et chez qui était de passage Maklouf, un ancien du RHF – Rhône/Alpes qui demeure maintenant à Rennes. Cela nous a permis plusieurs échanges intéressants avec Jean et Maklouf. Celui-ci nous a accompagnés pour la visite du centre-ville le lendemain de notre arrivée comme l’ancienne prison aujourd’hui devenue le palais de justice. Nous avons visité le rempart souterrain qui date du 11e siècle. En fait, c’est un baptistère. C’est un lieu qui a été découvert il n’y a pas si longtemps lors de la construction du tramway.
Pendant que Jeanne-Mance et Maklouf complétaient la visite du centre-ville, j’ (Gilles) ai rencontré Marie-Clotilde Pirot de l’Institut polytechnique de Grenoble que j’avais connue à Montpellier. Elle s’occupe notamment de la reconnaissance d’équivalences pour la formation continue. Nous avons eu des échanges très intéressants.
Le lendemain, nous avions une rencontre prévue avec les gens disponibles du RHF et RFF (Réseau femmes) Rhône/Alpes pour prendre le repas du midi. Nous nous sommes retrouvés à cinq, Gérard, Brigitte, Maklouf et nous deux. Gérard est en quelque sorte le fondateur de cette section du RHF. Il est très actif même s’il a pris sa retraite. C’est un sociologue qui a aussi fait de la recherche sur la paternité et sur la violence. Il est venu au Québec à quelques reprises, notamment lors des Grands rassemblements du RHQ. Nous avons bien mangé puis nous sommes allées sur La Bastille admirer le paysage et continuer nos échanges. Nous avons également un beau regard sur la rivière l’Isère. La Bastille est ce lieu de résistance lors de la révolution de 1789 d’où les résistants surveillaient les ennemis. Effectivement, c’est un point de vue de l’ensemble de la ville. Pendant cette balade, nous avons visité le musée Dauphinois dont une chapelle qui date de l’époque romane.
Notons que Grenoble est une jolie petite ville universitaire et scientifique avec plus de 45 000 étudiants et 15 000 chercheurs pour une population d’environ 150 000 à Grenoble même et 450 000 pour l’agglomération. La ville est entourée de montagnes : la Chartreuse, la Belledonne, la Velcores et au loin les Alpes, qui étaient encore enneigées lors de notre passage. Grenoble a aussi une histoire intéressante sur le plan social : on nous a rapporté que c’est là notamment que sont nées les mutuelles sociales et que la ville est aussi connue pour ses mécanismes de consultation et de démocratie.

Toulouse
Enfin, la dernière étape de notre passage en France était Toulouse. On y trouve probablement la seule équipe de recherche en France sur les questions relatives aux genres. Notre arrêt à Toulouse était lié aux contacts que j’ (Gilles) ai avec Daniel Welzer-Lang depuis déjà plusieurs années. Nous nous sommes connus au Québec au cours de différents congrès et il est bien connu (de même que ses écrits) de la plupart des chercheurs québécois sur les réalités masculines. Il faut dire que Daniel est particulièrement productif : il a écrit plusieurs bouquins et certains de ses textes demeurent des classiques dans le domaine. Il a été l’un des pionniers à écrire sur les hommes aux comportements violents en France (Welzer-Land, 1991, 1992), mais sans aucun doute ses textes sur l’homophobie demeurent parmi les plus fondamentaux (Welzer-Lang, 1994). Lorsque j’avais eu des échanges avec lui sur le meilleur temps pour passer à Toulouse, il m’a rapidement parlé du séminaire qu’il organisait avec Chantal Zaouche sur « Les hommes et le masculin » auquel je pourrais me joindre. Nous sommes arrivés le jeudi et nous nous sommes joints à Daniel et quelques unes de ses collègues qui fêtaient l’embauche de l’une d’elle. Le lendemain, pendant que Gilles et Daniel participaient au séminaire, j’ (Jeanne-Mance) en ai profité pour régler des choses administratives (hébergement pour les jours suivants à Leeds, poster une boite au Canada, mettre le blog sur la première partie de la France en ligne). Puis je suis partie pour un tour de ville à pied. J’ai donc marché pour voir la chapelle St-Sernin, le fleuve la Garonne, prendre le lunch dans un beau petit resto et me perdre dans les petites rues du quartier où demeure Daniel, soit en plein centre de la ville. Ça sent le retour…c’est la première fois que me suis promenée sans plan de la ville, juste me laisser guider par ce qui s’offre devant moi. Je n’ai pas beaucoup visité, je voulais seulement sentir la ville. Comme je le disais à une collègue de Daniel, je me sens en parapente, descendre doucement, regarder de haut ce voyage si magnifique et préparer mon retour au bercail.
Pendant ce temps, c’était le séminaire « Des hommes et du masculin » qui en était à sa troisième édition. C’était à mon tour d’avoir la chance de participer et d’assumer une présence de notre équipe de recherche « Hommes et masculinité » puisque lors des éditions précédentes les collègues Gilles Rondeau et Annie Devault y étaient. Le séminaire était multidisciplinaire, bien qu’il était organisé par des sociologues. Le premier exposé était fait par une professeure de psychologie, Sylvie Bourdet-Loubère et portait sur la surmortalité par suicide des jeunes hommes bisexuels et homosexuels. Puis, Serge Helez, psychiatre et psychanalyste à Paris, nous a résumé les principales thèses de son livre Dans le cœur des hommes. Je suis intervenu par la suite sur les garçons et l’école à partir de la recherche-action que nous avons menée au Cégep Limoilou. En après-midi, Nadège Séverac de Paris nous a donné les premiers résultats de sa thèse de doctorat sur le processus thérapeutique d’hommes aux comportements violents dont elle a suivi le parcours pendant un an en les observant systématiquement lors de leurs séances de thérapie de groupe. Enfin, Yves Raibaud, professeur de géographie à Bordeaux, nous a entretenus sur la culture urbaine des jeunes hommes. C’était la première fois que je rencontrais un géographe qui s’intéresse aux questions de genre.
Après le séminaire, nous sommes allés prendre l’apéro au centre-ville pour ensuite prendre le repas du soir tous ensemble. Cela a été une autre occasion d’échanger avec le groupe.
Le lendemain matin, nous avons eu le temps de faire une petite tournée avec Daniel au marché public et au marché aux puces (même en voyage, on ne perd nos bonnes habitudes). Puis c’était le temps du départ pour l’Angleterre.





Réalités masculines en France
Bien sûr, en France comme ailleurs, les mêmes considérations préliminaires s’appliquent : nous y avons passé seulement un mois, notre connaissance demeure parcellaire, très liée aux personnes que nous avons rencontrées, etc. Mais ici s’ajoutent quelques considérations particulières : c’est le seul pays que nous avions déjà visité, nous connaissons des Français et des Françaises depuis déjà quelques temps et, bien sûr, on ne peut oublier que le Québec est issu de la colonisation française. Bref, ce sont des liens plus étroits et du même coup qui rendent le regard un peu moins extérieur et il est plus difficile de prendre un recul.
Dans les années 70, nos regards, du moins en ce qui concerne les questions relatives aux genres, étaient systématiquement tournés vers la France. Pour ce qui est du mouvement féministe, Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir (1949) est sans aucun doute l’un des textes fondateurs les plus connus. On peut penser aussi à Germaine Greer et bien d’autres auteures françaises. Du côté des hommes, des textes fondateurs comme La fabrication des mâles de Falconnet et Lefaucheur (1974) ont suivi peu après ceux des grandes féministes. On peut penser aussi à d’autres auteurs comme De Fontenay. Aujourd’hui, nous nous retrouvons en situation inverse où les regards des Français et des Françaises se tournent vers les expériences québécoises. En fait, la France a continué de produire beaucoup sur le plan théorique, notamment dans le domaine de la sociologie. On n’a qu’à penser, pour ce qui est des études sur les hommes, notamment aux travaux de Bourdieu (1998), Castelain-Meunier (2002, 2005), Hefez (2007), de Singly (1993, 2000), Welzer-Lang (1991, 1992, 1994, 2004, 2008). Bref, une production sur le plan théorique très riche.
Mais il semble bien que le Québec ait mieux réussi à développer un réseau de services en conséquence, même si, il faut bien le rappeler, les services aux hommes au Québec demeurent encore très limités. La France a développé un bon réseau de garderies et diverses mesures pour l’égalité des femmes sur le plan du travail (salaires, etc.) de telle sorte qu’on y retrouve l’un des plus hauts taux de participation des femmes au marché du travail (Revillard, 2006), et cela sans diminution importante du taux de natalité comme on retrouve dans les autres pays industrialisés (Kaufmann dans LaBel France). On retrouve maintenant des femmes dans un peu tous les secteurs d’activités, même si, comme au Québec, elles sont concentrées davantage dans certains secteurs (Muruani dans Label France). Cependant, l’une d’elles nous rappelait que, même si les lois sont en place, il demeure plusieurs moyens de les contourner de telle sorte que, selon elle, les hommes profiteraient davantage de conditions d’avancement dans la carrière ou encore on leur offrirait plus facilement de travailler des heures supplémentaires. Dans la même ligne, elle rapportait que plusieurs considèrent encore le salaire d’une femme comme « un deuxième salaire », notamment pour « payer le coiffeur », comme le lui a dit, semble-t-il, son patron. Ainsi, le taux de chômage des femmes dépasse celui des hommes (10,7% c. 7%, en 2001) et elles gagnent en moyenne 20% de moins pour un salaire équivalent (Muruani dans Label France). De même, les lois et les règlements sont en place en matière de violence conjugale, mais le réseau de service demeure limité nous dit-on. Du moins, il n’existe pas de structure pour regrouper et soutenir les diverses initiatives locales comme nous pouvons avoir par exemple avec les regroupements de maisons d’hébergement ou encore avec À coeur d’hommes. Cependant, des protocoles d’action commencent à se mettre en place. Lors de notre passage à Montpellier, le journal (E.S., 2008) notait une baisse des violences à l’égard des femmes dans le département de même que la signature d’un protocole d’action en 2007. Il s’agissait du premier protocole du genre dans la région alors qu’au Québec, ce type de protocole est en place depuis une quinzaine d’années. De même, il existe très peu de structures venant en aide aux hommes ou favorisant leur regroupement en dehors du Réseau hommes France. Un ami nous rapportait aussi qu’en milieu rural, le catholicisme occupe toujours une grande place de même que les valeurs traditionnelles en matière de rôles de genres.
Néanmoins, « Les hommes changent » titrait Daniel Welzer-Lang (2004) pour l’un de ses bouquins sur les réalités masculines. C’est aussi l’opinion de plusieurs autres auteurs et chercheurs (Castelain-Meunier, 2002, 2005, 2006; Hefez, 2007; Zaouche-Gaudron, 2001). Nous avons pu l’observer dans pratiquement toutes les familles où nous sommes allés : les tâches domestiques sont partagées. Bien sûr cela n’empêche pas des dominantes ; par exemple, c’est un peu plus souvent les hommes qui s’occupent des tâches à l’extérieur de la maison et les femmes des tâches intérieures. Cette remise en question des rôles traditionnels semble particulièrement vraie en ce qui concerne la paternité (Castelain-Meunier, 2002, 2005; Zaouche-Gaudron, 2001). La France a adopté de nouvelles mesures en 2002 favorisant un congé de paternité de 11 jours supplémentaires aux trois jours déjà en place (Bauer & Prenet, 2005). Il semble bien que cette mesure est largement utilisée et change considérablement le lien que les pères développent avec leurs bébés (Castelain-Meunier, 2008, entretien personnel). Il n’est pas rare, semble-t-il, que les pères prennent des congés supplémentaires (Bauer & Prenet, 2005). On le sait, le lien qui se crée dans les tous premiers mois de la vie d’un enfant est déterminant sur la relation future du père à son enfant, relation qui demeure importante pour le développement de l’enfant (LeCamus, Lebrell & Zaouche-Gaudron, 1999). Castelain-Meunier (2006) note entre autres que ce changement des hommes n’est pas que temporaire mais constitue une vague de fond.
Ainsi, il est clair que si on veut avancer sur le plan de l’égalité des genres et d’une transformation du social en vue d’une plus grande humanisation, on ne peut plus se contenter de mettre les hommes au ban des accusés mais bien d’apprendre à écouter cette parole, lui donner un sens, mieux comprendre les changements qui s’opèrent (Castelain-Meunier, 2002, 2006, 2006; Welzer-Lang, 2008; Welzer-Lang, LeQuentrec, Corbière, Meidani & Pioro, 2004). Il s’agit en quelque sorte de mieux comprendre comment se construisent ces nouvelles identités et ces nouvelles manières d’assumer ses rôles sociaux Par exemple, Zaouche-Gaudron (2001) indique que maintenant 70% des pères participent aux soins et à l’éducation des très jeunes enfants sans pour autant faire figure de doublure de la mère, ce qui constitue une véritable transformation du rôle paternel si on compare au modèle traditionnel. Elle note « si être père, c’est savoir développer des compétences techniques (nourrir, changer), c’est surtout montrer des compétences relationnelles et affectives qui se construisent jour après jour ». C’est donc dire que les Français sont donc clairement lancés dans une reconstruction de la masculinité en vue de s’affranchir des rôles prédéterminés. Cela donne beaucoup d’ouverture sur la création (Castelain-Meunier, 2006), mais aussi des périodes d’incertitudes, de recherche, de questionnements pour lesquelles, outre le Réseau Hommes France, il n’existe que très peu de ressources.
Sur le plan de la santé, les Français ont le plus bas taux de maladies cardiaques de l’Ouest de l’Europe, mais le plus haut taux de cancer du poumon chez les hommes de 30 à 59 ans de même qu’on retrouve un taux de décès par traumatisme 40% supérieur aux pays voisins, notamment à la suite d’un suicide dont le taux est 60% supérieur aux autres pays de l’Ouest de l’Europe (OMS-Europe, 2004). Cependant, cela représente un taux de suicide tout à fait comparable à celui du Québec avec cependant la différence qu’on retrouve trois fois plus de suicides commis par des hommes que par des femmes alors que ce nombre atteint quatre fois plus pour le Québec. Cependant, un travail a été effectué au cours des dernières années pour mieux dépister la dépression chez les personnes qui surconsomment de l’alcool et le traitement qui a suivi a permis de diminuer le taux de suicide (OMS Europe, 2004). Notons aussi que la France continue à avoir un haut taux de décès à la suite d’accident de la circulation (12 décès par 100 000 personnes selon OMS-Europe, 2004) mais que ce nombre tend à diminuer considérablement à la suite des mesures adoptées au cours des dernières années en matière d’alcool au volant et de vitesse excessive, mesures, il faut bien le dire, fortement inspirées de l’expérience québécoise dans le domaine. Notons que la consommation d’alcool diminue mais est toujours parmi les plus élevées (OMS-Europe, 2004). En France, le risque d’alcoolisation excessive, ponctuel ou chronique, concerne surtout les hommes : plus de quatre hommes sur dix et plus d’une femme sur dix. Entre 25 et 64 ans, il touche un homme sur deux (Com-Ruelle, Dourgnon, Jusot & Lengagne, 2008). Plus encore, nous disent ces auteurs, le risque chronique prédomine sur le risque ponctuel lorsque les personnes ont connu des épisodes de précarité au cours de leur vie, chez les hommes de profession intermédiaire, artisans, commerçants ou chefs d’entreprise, ou encore aux revenus faibles.
Par ailleurs, le mariage de conjoint de même sexe n’est toujours pas légalisé en France mais cependant, comme d’autres pays, la France a adopté une législation reconnaissant ce type d’union sous forme d’un contrat qui donne des droits sensiblement équivalents aux conjoints hétérosexuels mariés. Cependant, il demeure une bataille politique pour une réelle reconnaissance du mariage de conjoints du même sexe. On nous a rapporté qu’un Français qui était allé se marier en Belgique aurait perdu sa citoyenneté française par la suite en signe de réprobation. Il n’en demeure pas moins que, dans la vie quotidienne, dans l’ensemble, l’homosexualité semble relativement bien acceptée, du moins dans les grands centres. Par exemple, à Toulouse, il n’était pas rare de rencontrer deux gais ou deux lesbiennes se promenant par main dans la main. Il existe toute une panoplie de services pour les hommes gais ou bisexuels, surtout à Paris, mais aussi dans la plupart des grandes villes, du moins à ce qu’on peut voir sur Internet. Cela fait aussi en sorte que les services pour les hommes gais et bisexuels se tiennent en parallèle aux quelques services pour hommes, sans trop de liens. Sur le plan de la recherche cependant, le lien est beaucoup plus rapidement fait. La plupart des chercheurs considèrent que la remise en question de la masculinité traditionnelle implique aussi de revoir l’hétéronormativité, notant que l’homophobie notamment demeure encore l’un des freins les plus importants (Welzer-Land, 1994).
Remerciements
Nous tenons à remercier d’abord les amis qui nous ont gentiment hébergés et avec qui nous avons toujours beaucoup de plaisir à échanger : Claire et Patrick à Volx, Agnès et Bernard à Montpellier, Jean et Maklouf à Grenoble et Daniel à Toulouse. Un merci spécial aux collègues chercheurs, en particulier Daniel Welzer-Lang, sa collègue Chantal Zaouche à Toulouse et Marie-Clotilde Pirot à Grenoble. Un merci aux hommes du Réseau hommes France pour leur accueil chaleureux : Alain à Montpellier, Gérard, Jean et Maklouf à Grenoble ainsi que Brigitte à Grenoble. Enfin, merci à tous ceux et celles qui ont partagé avec nous lors de notre passage : Daniel et Agnès à Volx, Marc et son interprète de Hongrie de passage à Montpellier, les autres participants et participantes au séminaire en particulier Serge, Sylvie, Nadège, Yves, Jérôme et Valérie.
Références
Bauer, D. & Prenet, S. (2005). Le congé de paternité. Études et résultats (442). Paris : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Ministère de l’emploi, dela cohésion sociale et du logement. Ministère de la santé et des solidarités.
Beauvoir (de), S. (1949). Le deuxième sexe. Paris : Gallimard.
Boudieu, P. (1998). La domination masculine. Paris : Seuil.
E.S. (2008) Violences envers les femmes – Une légère baisse constatée. Montpellierplus (501) vendredi 21 mai 2008 p.3.
Falconnet, G. & Lefaucheur, N. (1975). La fabrication des mâles. Paris : Seuil.
Singly (de), F. (1993). Les habits neufs de la domination masculine. Esprit (11) 54-64.
Singly (de), F. (2000). Libres ensemble. Paris : Nathan.
Welzer-Lang, D. (1991). Les hommes violents. Paris : Lierre & Caudrier.
Welzer-Lang, D. (1992). Arrête! Tu me fais mal! Montréal : VLB et Le Jour.
Welzer-Lang, D. (2004). Les hommes aussi changent. Paris : Payot.
Welzer-Lang, D. (1994). L’homophobie : la face cache du masculine. Dans Welzer-Lang, D., Dutey, P. & Dorais, M. (éd.). La peur de l’autre en soi. Montréal : VLB.
Welzer-Lang, D. (2008). Les hommes et le masculin. Paris : Payot & Rivages.

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