jeudi 6 mars 2008

21e envoi : L’Afrique du Sud

21e envoi : L'Afrique du Sud

De Shanghai, nous avons pris l’avion avec une escale de neuf heures à Hong Kong pour arriver le lendemain à Johannesbourg après presque 13 heures de vol pour une autre escale et enfin Cape Town. Bref, un long périple. Heureusement, nous avions profité du « lounge » à Hong Kong avec salle de repos, massage, Internet, buffet à volonté.
L’Afrique du Sud est un pays très complexe tant par sa diversité culturelle, sa population et sa situation politique. Il nous apparaît donc important d’exposer quelques éléments de l’histoire de ce pays sans pour autant en donner un cours exhaustif. Ces quelques notions d’histoire permettront de mieux saisir ce que nous décrirons dans ce blog. L’Afrique du Sud est un pays fondé par les Hollandais vers le milieu du 17e siècle afin de servir d’escale dans les voyages en Inde. Cela prenait trois mois pour arriver d’Europe puis trois autres mois pour se rendre en Inde. L’arrêt en Afrique du sud, notamment à Cape Town, permettait le ravitaillement en nourriture et en eau potable. Les Hollandais ont importé plusieurs esclaves à partir des Philippines, de Malaisie et de d’autres pays. Ces esclaves n’avaient aucune langue commune, pas plus qu’ils ne parlaient Hollandais comme leurs maîtres. Au fil des ans, ils ont inventé un langage afin de communiquer entre eux soit l’Africaan, fortement issu du Hollandais, mais quand même différent. Cette langue demeure l’une des langues officielles du pays, elle est parlée principalement par les Sud-Africains d’origine hollandaise et certains « Coloureds ». Lors de l’Apartheid, c’était la langue imposée à tous. En fait, aujourd’hui, c’est la 3e langue en importance dans le pays, parmi les 11 langues officielles. Par la suite, les Anglais se sont imposés, notamment avec la Guerre des Boers, de telle sorte que, à l’époque, les Afrikaaners (Hollandais) se sont retranchés vers le centre et le nord du pays, notamment dans ce qui est aujourd’hui la province appelée Free State. Les autres Européens (Français, Portugais, Espagnols, Allemands) qui sont venus s’installer par la suite se sont surtout intégrés à ceux qui parlent Anglais. L’Anglais est actuellement la 4e langue en importance au pays. Ainsi, ceux qu’on nomme les « Whites » sont regroupés principalement en deux sous-groupes les « Englishs » et les « Afrikaaners ». Ils forment environ 9,2 %de la population de l’Afrique du Sud, selon l’estimé pour 2006 (Wikipedia); la plus forte proportion se retrouve dans la province du « Western Cape ». De plus, les « Whites » ont aussi importé une main d’œuvre de l’Inde, notamment parce que les Indiens étaient réputés pour leurs qualités dans le travail des plantations de canes à sucre. Ce n’est donc pas pour rien que c’est en Afrique du Sud, notamment à Durban, que l’on retrouve la plus importante communauté indienne en dehors de l’Inde. Les Indiens forment environ 2,5% de la population totale (Wikipedia). Plus encore, au fil des ans, les Européens venus s’installer en Afrique du Sud ont peu à peu formé des mariages mixtes avec des anciens esclaves ou encore avec des Indiens, de telle sorte que cette population mixte représente aujourd’hui environ 8.9% de la population totale (Wikipedia). Ils forment ce qu’on appelle ici les « Coloureds ». Puis il y a la majorité issue de populations venant plus au nord, originant notamment des Ngunis. Cette population noire, dite « Blacks », forme 79,5% de la population (Wikipedia). Elle est elle-même divisée principalement en neuf ethnies qui possèdent chacune sa culture bien à elle. Ces ethnies ont des langues diverses, mais relativement semblables de telle sorte que sans parler la langue de l’autre ethnie, les gens nous disent qu’ils peuvent comprendre. Cependant, il semble y avoir certaines frictions entre les diverses ethnies. Nous avons été en contact surtout avec des Xhosas (il faut prononcer le Xh comme un K en tapant la langue) et des Zulus. Les Zulus forment 21% de la population, les Xhosas, 17% et les Sothos 15%, tandis que les autres ethnies (Tswana, Venda, Ndebele, Swasi, Pedi et autres) sont en plus faible nombre (Wikipedia). Tout le monde apprend l’Anglais à l’école. De telle sorte que nous n’avons eu aucune difficulté à comprendre, à nous faire servir et répondre en anglais. Cela était nettement plus facile pour nous qu’en Chine et qu’au Japon à cet égard.
Sur le plan politique, on ne peut parler de l’Afrique du Sud sans mentionner l’Apartheid et nous en avons beaucoup entendu parler tant par les « Whites » que par les « Blacks ». L’Apartheid a existé de 1948 à 1994, soit au moment où Nelson Mandala a pris le pouvoir (à certains endroits on parle de 1990 puisque dès 1990, le gouvernement « White » au pouvoir a dû concéder bien des choses et peu à peu le régime s’est effrité jusqu’à la victoire de l’ANC). Le mot « Apartheid » vient de l’Africaan et signifie « vivre à part ». Ce régime politique établissait les droits civils, économiques et politiques en fonction de la couleur de la peau. Notamment, le droit de choisir le gouvernement, soit un droit des plus élémentaires et des plus importants que nous puissions avoir, était essentiellement réservé aux « Whites ». Plus la couleur de la peau était foncée et moins la personne avait de droits. Juste pour vous donner l’ampleur de ce régime, nous vous donnons quelques exemples de discrimination qu’ont vécue les « Non-Whites ». Par exemple, une loi spécifiait le territoire alloué à chaque groupe de population (« Whites », « Blacks », « Coloureds » et « Indians ») avec des contrôles d’entrée et de sortie. Ainsi, les Townships sont des territoires qui ont été créés pour forcer (le mot n’est pas trop fort) les « non-Whites » à quitter les endroits occupés par les « Whites ». Entassés dans des logements trop petits et de très mauvaise qualité, sans service, souvent sans toilette ni douche, ces townships sont devenus (et sont toujours) des zones de pauvreté extrême où les gens doivent affronter plusieurs problèmes sociaux comme la violence, l’alcoolisme, la drogue, le SIDA/VIH. Par exemple, le taux global pour le pays de personnes séropositives atteint, selon les données de 2000, 20% de la population, les femmes étant davantage touchées de telle sorte que 31% des femmes enceintes sont porteuses du VIH (Wikipedia). L’Afrique du Sud occupe le 2e rang sur le plan international en matière de d’assaut sur la personne, de meurtres et de viols. On s’en doute, la situation est pire dans les townships. Les quelques « Blacks » qui ont résisté à l’expulsion ont tout simplement été tués. Nous avons visité deux townships, soit Langa, le plus ancien township de l’Afrique du Sud, et Soweto, le plus populeux. Ces divisions selon la couleur de la peau portaient sur toutes les sphères de la vie. Par exemple, un chauffeur de taxi nous racontait qu’il n’avait pas le droit de faire monter une personne blanche et s’il se faisait prendre à le faire (ce n’était que des étrangers qui acceptaient d’embarquer dans un taxi conduit par un « Black »), on le punissait sévèrement. Des « Coloured » nous ont raconté que les places étaient identifiées dans les autobus, quelle personne pouvait s’asseoir où, en fonction de la couleur de sa peau. Bref, un régime de discrimination systématique de toutes les personnes « Non-Whites », mais qui établissait aussi des niveaux de discrimination différents, selon que la peau était plus ou moins foncée, histoire de mieux diviser pour régner.
Les traces de l’Apartheid sont énormes même si aujourd’hui tout le monde a les mêmes droits. Par exemple, même si la division territoriale a été abolie, dans les faits, bien des gens n’ont pas déménagé de lieu de résidence pour autant. Ainsi les quartiers demeurent largement avec des concentrations très spécifiques selon la couleur de la peau. Par exemple, comme le revenu moyen demeure encore beaucoup lié à la couleur de la peau, le lieu de résidence va de même. Ce n’est donc pas étonnant que l’on ait vu des écoles fréquentées exclusivement par des enfants « Whites » compte tenu que ce sont presque toutes des familles de « Whites » qui demeurent dans ce quartier. De plus, le taux de chômage est très élevé en Afrique du Sud, soit autour de 39,5%, selon plusieurs personnes qu’on a rencontrées, mais au sein de la population « blanche », il n’est, semble-t-il, que de 7 %, soit un taux comparable à celui au Canada. Nous avons vu quelque chose que nous n’avions jamais vu auparavant : des « Blacks » assis sur le trottoir alignés et attendre qu’on leur offre un emploi soit pour la journée ou la semaine ou qu’un organisme de charité leur donne à manger.
On comprend que même si tout le monde est bien content de la fin de l’Apartheid, il reste encore beaucoup d’amertume. Un Xhosa nous disait : (nous traduisons en nos mots) « Nous avons obtenu l’égalité politique mais avant d’obtenir l’égalité économique, cela prendra encore plusieurs générations ». Lorsque nous avons questionné un Zulu à ce sujet, il nous a répondu (nous traduisons en nos mots) « On ne peut leur en vouloir car ce sont eux qui nous font travailler, qui contrôle l’économie et ont l’argent. On n’a pas le choix ». En fait, le développement de l’économie a beaucoup été réalisé à partir d’entreprises dirigées par des « Whites ». Encore aujourd’hui, ce sont eux qui possèdent la richesse, qui sont propriétaires des grandes entreprises, des restaurants, et donc qui ont la possibilité de vivre dans les plus beaux quartiers, d’avoir les plus belles maisons, que leurs enfants aillent dans des écoles privées, etc. Par ailleurs, un Afrikaaner nous a beaucoup émus quand il a dit (encore une fois c’est une traduction bien libre) « Quand j’étais petit garçon, mes parents me disaient de ne pas aimer les « Blacks », je ne savais pas ce que cela voulait dire. Maintenant, je peux mesurer l’impact de ce régime et comment il a nui au développement du pays ». Pour tous les gens que nous avons rencontrés, Nelson Mandala fait l’unanimité, peu importe la couleur de la peau. Les gens nous ont dit : « Nelson Mandala a fait un travail magnifique », « Nelson Mandala est le plus grand homme que je n’ai jamais rencontré », « Nelson Mandala nous a donné la liberté ». Cet homme demeure impressionnant : malgré 27 ans en prison, il est demeuré centré sur son objectif : travailler à la construction d’un pays sans discrimination au sein de lequel tous travaillent ensemble, le tout sans jamais laisser voir de rancœur malgré tout ce qu’il avait pu endurer. Quel homme! La période qui suit, l’après-Mandela, celle dans laquelle nous sommes maintenant, semble plus difficile. Certains commentaires des dirigeants actuels laissent bien des « Whites » perplexes et avec un sentiment que la discrimination s’inverse maintenant. Par exemple, lors de notre visite, le journal rapportait qu’un journaliste « White » avait été expulsé d’une rencontre que le Premier Ministre avait avec un groupes de journalistes « Blacks ». On nous a rapporté aussi que des « Whites » occupant des postes de direction sont fortement invités à prendre une retraite anticipée pour laisser la place à des dirigeants « Blacks » sans égard aux qualifications nécessaires, la couleur de la peau devenant à nouveau le critère de sélection. Ainsi, on comprend que certains « Whites » que nous avons rencontrés se sentent floués d’autant plus ceux qu’ils s’étaient battus contre l’Apartheid. Par ailleurs, des « Non-Whites » réagissent à ces commentaires sur le « racisme inversé » en disant que les « Whites » ont encore bien des difficultés à accepter de partager le pouvoir. Notamment, on nous a rapporté que récemment un jeune homme « White » de 17 ans aurait tiré à bout avec une arme à feu portant sur des personnes « Non-Whites » dans le Free State, exprimant ainsi de manière extrême la haine raciale qu’il porte. Le 2 mars, le journal rapportait divers incidents raciaux dont des gestes haineux envers les « Blacks » : deux étudiants « Whites » qui travaillaient à la cafétéria d’une résidence de l’University of the Free State qui se sont amusés à uriner dans le pot de thé avant de le servir à des étudiants « Blacks » (Govender, 2008), un directeur d’école « White » qui a traité des enseignantes « Blacks » de « babouins » (Mthethwa, 2008), bref des actes très offensants, parfois inimaginables. Les tensions demeurent toujours et il est sans doute difficile d’en arriver à un équilibre qui permette à la fois aux « Blacks » d’avoir une réelle place au soleil au même titre que les autres sans que les autres se sentent discriminés à leur tour. Ces quatre groupes (« Blacks », « Coloureds », « Indians », « Whites »), même s’ils font partie d’un seul et unique pays, demeurent profondément divisés. Ainsi, rarement, dans les villes visitées, nous avons vu un « White » avec un « Black » ni un « Coloured » avec un « White » ou un « Black ». Des chercheurs rencontrés insistaient sur le fait que la question raciale demeure un sujet de premier plan qui doit continuer d’être regardé de près. Bref, cela prendra sans doute encore quelques générations et aussi de bons leaders politiques pour réussir à recréer l’unité. D’ici là, on a parfois l’impression qu’il y a plusieurs « Afriques » du Sud, plusieurs pays en un. La phrase d’Oliver Tambo qui apparaît sur une grande affiche à l’aéroport de Johannesbourg demeure sans aucun doute d’actualité : « It is our responsability to break down the barriers of division and create a country where there will be neither Whites nor Blacks, just SouthAfricans, free and united in diversity”. Malheureusement, l’Afrique du Sud est donc encore loin de l’idéal de Nelson Mandela et d’Oliver Tambo.
Encore une fois, nous voulons préciser que nous avons une vision partielle de l’Afrique du Sud par les trois grandes villes visitées : Cape Town (2,9 M d’habitants), Durban (2,5 M) et Johannesburg (3,2 M).

Cape Town
Cape town, capitale législative, est une grande ville. Notre premier contact avec le pays a été Céline Dion. À l’aéroport, de grandes affiches de Céline Dion qui commence sa tournée mondiale en Afrique du Sud. On la voyait partout. Même si elle n’est pas notre idole, voir Céline Dion en Afrique aurait été un événement. Malheureusement, nous n’avons pu avoir de billets. Il faut dire que sa tournée ne correspondait pas tout à fait à la nôtre. Elle arrivait dans une ville alors qu’on en sortait ou à quelque jours de différence. Elle a rencontré Nelson Mandela.
Nous avons pris un tour organisé pour visite la ville. Nous avons particulièrement apprécié notre guide Garth Angus. C’est un Afrikaaner qui a sa propre entreprise de tourisme. C’est un homme d’une grande générosité qui nous a livré sa vision de l’Apartheid et qui nous a parlé de lui et de sa famille. C’est lors de cette tournée du centre-ville à pied que nous avons visité le musée consacré au District 6. Il s’agit d’un quartier où vivait une très grande proportion de « Noirs ». Lors de l’Apartheid, le gouvernement a passé une loi exigeant que tous les « Noirs » quittent le quartier car dorénavant, comme tous les autres quartiers centraux, il serait réservé aux « Blancs ». On leur donnait un mois. Après un mois, les pelles mécaniques sont arrivées et ont rasé le quartier. Le Musée du district 6 rappelle cet événement. Il est situé dans une église. Quand on y entre, on se sent obligée de garder un silence presque religieux tellement l’émotion est grande, de regarder les photos, de lire les témoignages. Il y a une grande toile où les gens qui habitaient ce quartier sont venus signer leur nom, l’adresse de leur maison et l’année. C’était en 1961, pas si loin quand même. Nous avons vu aussi la galerie à partir de laquelle Nelson Mandala a fait son premier discours devant des centaines de milliers de personnes à sa sortie de prison, le même message qu’il avait livré lors de sa condamnation 27 ans plus tôt. Nous vous livrons l’essentiel de son message :
“I have fought against the White domination and I have fought against the Black domination. I have cherished the ideal of a democratic and free society in which all persons live together in harmony and with equal opportunities. It is an ideal which I hope to live for and to achieve. But if needs be, it is an ideal for which I am prepared to die.” Nelson Mandala, 11 février 1990.
Quand on lit ces lignes et que nous voyons comment évolue ce pays maintenant, on peut facilement conclure que l’Afrique du Sud est loin de cet idéal.
Dans l’après-midi, nous nous sommes rendus au township Langua, le plus vieux township d’Afrique du sud, avec un collègue de Garth. Ce collègue, Khonaye, a vécu dans ce township. La partie la plus importante du township est occupée par des maisons de type « townhouse », ce qu’on appelle en bon français des maisons de ville. Ce sont de petites maisons avec deux petites pièces. Une dame nous a fait visiter sa maison où elle demeure avec ses enfants et deux petits-enfants : une pièce pour une chambre où ils couchent trois personnes et l’autre qui sert de cuisine, salon et chambre pour les trois autres personnes. Pas de salle de bain, l’eau courante vient d’un robinet dans la cours extérieure. Il s’agit d’une relativement bonne maison puisque bien d’autres familles vivent dans des conditions plus difficiles. Plusieurs maisons avaient été construites pour servir d’auberges (« hostels ») à des hommes des villages qui venaient travailler en ville. Cependant, faute de logements disponibles, ces « hostels » sont maintenant habités par des familles. Par exemple, nous avons vu une maison pas très grande habitée par 64 personnes. Notamment, trois familles se partageaient une chambre (environ 10’x10’) avec trois lits simples. Chaque famille (parfois de 3 ou 4 personnes) couchait dans un lit simple. Une cuisine commune est utilisée par ces 64 personnes. Nous sommes sortis de là en se disant « comment peut-on maintenir des êtres humains à ce niveau de pauvreté et de discrimination ? ». D’autres familles occupent un bidonville à la sortie du township. Il y a un projet de construction de 700 unités pour les familles. Cela ne comble pas les besoins. On nous a raconté que des familles brûlent leur maison pour se retrouver en haut de la liste des familles qui auront une unité. Chose aussi surprenante, le long de l’autoroute, les maisons que l’on voit sont relativement belles. Elles cachent les maisons de piètre qualité dont on a parlé de telle sorte que de l’extérieur, tout parait bien. De plus, en allouant des privilèges à certaines personnes, cela permettait de diviser les gens. Bref, cette visite, fort instructive certes, a remués nos cœurs de travailleurs sociaux.
Nous avons aussi fait la rencontre d’un guide touristique que j’avais (Jeanne-Mance) connu lors d’un cours de cuisine en Thaïlande. À ce moment-là, je lui avais demandé si je pouvais le contacter lorsque nous serions en Afrique du Sud, et il n’avait pas hésité à me dire oui. Nous avons donc passé deux jours avec lui. Quel homme! Un homme qui nous a fait découvrir Cape Town et les alentours dans ses plus beaux coins. Mais aussi qui nous a permis de le connaître avec ses belles qualités. Avec lui, nous avons visité notamment « Cape Point », la pointe la plus au sud-ouest du contient africain. Il s’agit de l’endroit où l’Océan Atlantique rejoint l’Océan Indien et où aussi les deux courants se croisent, le Benguela qui est un courant froid et le courant des Anguilles qui est un courant chaud. Johan nous a aussi permis de rencontrer un guide touristique Xhosa qui a bien voulu nous parler de sa culture. Il était passionnant à écouter : pendant plus d’une heure et demie, nous étions toute ouïe. Nous l’aurions écouté davantage mais nous devions partir. Johan nous a fait voir un parc où se retrouvent des milliers de pingouins. En route, nous avons la chance de voir des autruches à l’état sauvage, un élan et des antilopes. Pour finir la journée et le remercier, nous l’avons invité dans un chic restaurant semblable au Concorde à Québec avec vue sur la ville de Cape Town (pianiste, bonne bouffe et dessert flambé). Nous avons goûté a deux plats soit le springbuk et le kudu, tous les deux dans la famille des antilopes. Délicieux! Je profite de ce moment pour vous dire que j’ai mangé du crocodile, aussi délicieux.
Pendant notre séjour à Cape Town, nous avons eu la chance de vivre dans deux familles servas. D’abord chez Antoinette et Clive qui sont très impliqués, de même que leur fille et son copain Joel, dans le cirque Zipzap. C’est un bébé du Cirque du soleil volant maintenant de ses propres ailes. Un peu comme pour d’autres projets semblables en Afrique, Zipzap a tout un volet social. Cette école de cirque recrute notamment des jeunes de la rue de même que des jeunes atteints du VIH. Ce projet fait des merveilles avec ces jeunes. Ils y apprennent des valeurs fondamentales : espoir, coopération, soutien, etc. Ils nous ont présenté un DVD réalisé lors du passage de la gouverneure générale du Canada, Michaelle Jean, quelques semaines auparavant. Ces jeunes sont vraiment fantastiques sur scène. Il semble que Michaelle Jean en avait les larmes aux yeux et sans doute avec raison. Ce cirque est né en 1992, soit avant l’entrée au pouvoir de Mandela, avant que les projets de collaborations entre « Whites » et « Blacks » soient bienvenus en Afrique du Sud. Ces gens sont des visionnaires. Clive entre autres nous disait que ce projet représente pour lui ce que doit être l’avenir de l’Afrique du Sud où les jeunes apprennent à collaborer entre « Blacks » et « Whites », indépendamment de la couleur de leur peau, pour construire un pays. C’est un idéal qui n’est sans doute pas si facile que cela à construire mais quel bel idéal! Nous voulons ici vous donner un exemple du travail magnifique qu’ils font. Le fils de Clive, Erin, alors qu’il était en sixième année dit a son père que dans sa classe il y a un jeune « noir » qui est très bon en gymnastique et qu’il devrait être dans le cirque ZIP ZAP. Alors son père dit demande lui son numéro de téléphone et je vais appeler ses parents afin qu’ils puissent venir dimanche voir le spectacle. Les parents et le jeune se rendent au spectacle et depuis ce temps ce jeune est dans le cirque. Ce qu’il faut ajouter, c’est qu’il vivait d’énormes difficultés scolaires : manque de motivation, difficultés d’apprentissage, etc. Maintenant à l’école, sa situation s’est beaucoup améliorée. C’est une belle histoire qui prouve encore que quand un jeune trouve sa voie, le reste vient tout seul.
Puis nous sommes allés chez Recoice qui travaille à la Fondation Rhodes Mandela qui aide des jeunes à poursuivre des études universitaires sous la forme de bourses. Elle était professeure à l’Université à Durban. Voulant relever un autre défi, elle a pris ce nouveau poste. De son appartement, nous pouvions admirer les splendeurs de la ville et de la montagne, et aussi sentir la force des vents. Il faut dire qu’il vente souvent beaucoup à Cape Town, et des vents parfois très forts. La blague veut d’ailleurs que Cape Town peut connaître les quatre saisons en une seule journée. Cela indique jusqu’à quel point le temps peut changer rapidement.
Nous avons visité le « Sonke Gender Justice Network », un groupe qui travaille à impliquer les hommes dans la recherche d’égalité entre les hommes et les femmes. Ils ont développé du matériel très bien fait pour mobiliser les hommes sous le slogan « One man can ». Ils offrent divers ateliers et des campagnes de promotion portant sur l’engagement paternel, le partage des tâches domestiques, la prévention du VIH et la santé sexuelle, la violence envers les femmes, etc. Ils ont trois projets principaux : un avec les détenus, un autre avec les immigrants et le plus important, dans un township nommé Nyanga. Nous avons eu aussi la chance d’assister à un groupe de discussion qui avait lieu pour soutenir le travail d’un réalisateur qui prépare un vidéo-clip en prévention du VIH en faisant le lien avec la consommation d’alcool.
J’ (Gilles) ai aussi eu la chance de rencontrer à Cape Town deux autres personnes pour mes recherches sur les masculinités. D’abord, Suren Pillay, un professeur-chercheur en sciences politiques dont les recherches portent sur la violence et la criminalité chez les jeunes hommes. Ses recherches mettent en évidence comment la violence devient un exutoire pour des jeunes qui n’ont pas d’espoir dans la vie : ils ont de piètres résultats scolaires, se retrouvent en chômage, vivent dans des conditions de logement lamentables, souvent les familles sont désorganisées, puis il y a une forte consommation d’alcool et voilà! Tous les ingrédients sont là pour que la violence éclate. Selon lui, il y a tout un travail à faire pour créer les conditions nécessaires pour que ces jeunes aient de l’espoir dans l’avenir. L’autre personne est Éli, un psychologue qui est aussi membre d’un même réseau que moi, la Society for the Psychological Study of Men and Masculinity, par le biais de lequel je suis entré en contact avec lui. Il m’a donné son point de vue de professionnel sur le terrain, aussi de quelqu’un intéressé au sujet depuis quelques années.
Cape Town est entouré d’une montagne appelée la Table Mountain. Cette montagne magnifique est nommée ainsi parce que le somment est très plat comme une table. On la voit de partout peu importe où l’on se trouve. Ce qu’il y a de particulier de cette montagne, ce sont les nuages que l’on appelle la nappe. Une légende africaaner explique le phénomène en disant qu’un homme tentait d’entrer en compétition avec le diable en essayant de sortir de sa pipe plus de fumée que le diable en serait capable. Soyons sérieux maintenant. Les météorologues expliquent autrement ce phénomène. Le vent du sud-est attrape l’humidité à son passage lorsqu’il croise des courants avoisinants. Quand il frappe la Table Mountain à son sommet, il atteint un air frais dès qu’il atteint 900m au-dessus du niveau de la mer, alors cette humidité se condense sous la forme de nuages blancs. Alors les nuages se promènent sur le plateau et descendent de l’autre côté vers la ville pour se dissoudre dans la chaleur de l’air à environ 900 m. Comme vous pouvez voir la photo, ce n’est pas de la neige…sur la montagne mais des nuages qui descendent comme uen nappe.J’étais (Jeanne-Mance) avec une femme au pied de cette montagne et nous nous disions que nous n’avions jamais vu ce genre de phénomène auparavant. Avec les vents très forts, les nuages sont d’une telle vitesse.
Nous avons dû faire quelques deuils ; Gilles et moi avions chacun une visite que nous voulions faire. Pour Gilles, c’était de monter sur la Table Mountain en téléphérique. Pour moi, je voulais aller visiter Robeen Island, là où Nelson Mendala a été emprisonné pendant 19 ans. Ni l’un ni l’autre n’avons pu réaliser nos projets. Le matin où nous nous sommes rendus afin que Gilles prenne le téléphérique, il était fermé à cause des vents très forts. Moi, je n’ai pu avoir de billets pour me rendre sur l’île qui est très en demande. Dommage ! Quand même, tout n’a pas été perdu puisque nous sommes allés à la plage. Dans la même journée, nous avons vu six dauphins, à moins de 15 pieds de nous, qui jouaient dans les vagues, une baleine, ce qui, parait-il, à ce moment-ci de l’année, est très rare, et pour finir, un magnifique coucher de soleil (pour celles et ceux qui nous suivent, vous connaissez ma (Jeanne-Mance) passion pour les levers et couchers de soleil).
Enfin, nous avons rencontré aussi Fanuel Fish, un immigrant d’un pays plus au nord qui vend des sculptures en pierre de savon. Nous avons eu beaucoup de plaisir avec lui, cela se voit d’ailleurs sur la photo. Je n’ai pu résister à m’acheter un éléphant en pierre. Une brève rencontre d’une quinzaine de minutes mais combien agréable! Il faut dire que tous les vendeurs et vendeuses dans les petites boutiques sur St-Georges Mall et au marché de Longmarket sont tous des immigrants et des immigrantes de d’autres pays africains : Congo, Zimbabwe, Malawi, Rwanda, etc. Certains et certaines d’entre eux et elles parlent un excellent Français puisque c’est la langue de leur pays. D’ailleurs, à cet égard, il nous est arrivé une anecdote. Nous étions dans une boutique sur la rue. Nous regardions une chemise. La vendeuse nous dit en Anglais « Please, I will give you a good price; you are my first customers ». Entre nous, Gilles et moi nous disons que c’est toujours la même histoire, nous sommes toujours leurs premiers clients. La vendeuse nous répond cette fois-ci en Français, « Ah oui! c’est toujours la même histoire? ». Nous étions un peu gênés et un peu mal à l’aise de notre commentaire. Nous avons eu notre leçon pour les prochaines fois. Les productions artisanales qu’ils et elles vendent viennent de d’autres pays africains et non pas de l’Afrique du Sud. Certains nous ont parlé que leur intégration en Afrique du Sud n’est pas très facile. On peut sans doute comprendre quand on sait que le taux de chômage est très élevé, surtout chez les « Blacks ». Ces immigrants sont perçus comme étant en compétition pour un marché du travail fort limité.

Durban
Nous avons pris l’avion (un autre) pour nous rendre à Durban à partir de Cape Town. Nous avions réservé une chambre dans une auberge de jeunesse. L’auberge était propre, bien décorée à l’africaine, avec un bar-terrasse mais un peu loin du centre-ville, dans un quartier peu agréable. Nous devions prendre un taxi à chaque fois que nous voulions sortir du quartier. Nous faisons nos réservations à partir d’Internet. Vous comprendrez que c’est souvent difficile de choisir un hébergement qui correspond à nos besoins quand nous ne connaissons pas la ville. Mais à ceux et celles qui voyagent dans ce type d’hébergement, une bonne façon d’avoir une idée plus juste c’est de lire les commentaires des personnes qui ont utilisé les services de l’auberge en question. Bref, nous avons préféré changer d’endroit et chercher un hébergement mieux situé. Mais alors là, nous avons trouvé un très bel endroit : le Durban Spa. De type « timesharing », juste en face de la plage, il s’agit d’un petit appartement où nous pouvions faire la cuisine et nous mangions à la fenêtre devant l’océan Indien. Pas si mal n’est-ce pas? Je me levais à 5 heures pour admirer le lever du soleil sur l’océan.


Le tout pour un prix d’un B&B et à peine plus que l’auberge de jeunesse. Nous avons beaucoup apprécié de demeurer plusieurs jours au même hôtel. Les gens viennent à nous connaître, à nous donner des conseils, à prendre soin de nous. À chaque fois que cela est arrivé, c’est comme-ci nous faisions partie du quartier. À la réception, on me (Jeanne-Mance) demandait comment j’allais, où était mon mari, ce que je faisais aujourd’hui. Par exemple, je (Jeanne-Mance) m’apprêtais à sortir avec mon cellulaire accroché à ma sacoche. Le type à la réception m’a dit que cela était plus prudent de le mettre dans mon sac. Plusieurs autres personnes nous ont signifié d’être prudents. Une journée, je devais aller à la banque. Je m’informe pour prendre un taxi. Le réceptionniste me dit : « Non, vous devriez prendre le transport public, il en vous coûtera 0.10$ au lieu de 7.00 $. Il m’explique avec la carte tout le trajet à faire. Finalement, je dis : « Ok je vais y aller en autobus et revenir en taxi ». Il répond : « Non, vous reviendrez en autobus, c’est facile et ne dites pas que vous allez essayer mais le faire ». En plus, le préposé aux bagages m’offre de venir me reconduire à l’arrêt de l’autobus et informe le chauffeur de ma destination. Ces autobus sont un peu particuliers. Ce sont des minibus bondés de personnes de couleur. Il y a le chauffeur et une autre personne qui interpelle le monde sur la rue pour les inviter à monter dans l’autobus. Comme il y a une grande compétition liée à ce genre de transport, on en a vus qui sifflaient, d’autres qui criaient, certains allant jusqu’à descendre de l’autobus et venir nous chercher. Le tout s’est bien déroulé autant l’aller que le retour dans cet autobus. Arrivée à l’hôtel, le réceptionniste était bien fier de moi. J’en profite pour mentionner qu’en aucun moment, je n’ai eu peur, ou sentie mal à l’aise sur le plan de ma sécurité. Je me promenais seule dans la ville sans aucune crainte en étant, bien sûr, très prudente et à des heures sécuritaires.
Durban a la réputation d’être une ville dangereuse. Le premier soir que nous sommes arrivés dans cette ville, nous nous promenions à 20 heures sur le bord de la plage. Un policier nous a arrêtés en nous disant qu’il était dangereux de se promener à cette heure-ci. Il nous a gentiment offert de nous reconduire à notre hôtel à l’arrière de son véhicule, genre camionnette, arrière qui constitue… le panier à salade ! Nous n’avons pas eu de problème car nous étions super vigilants. Nous en reparlerons plus loin dans la section sur les hommes, certes le taux de criminalité est très élevé en Afrique du Sud, mais cela crée aussi une certaine paranoïa. La plupart des gens, comme ailleurs dans le monde, sont très gentils et nous n’avons pas senti cette violence puisque nous n’avons pas été témoins de quelque échauffourée ou bagarre ou vol que ce soit. En fait, ce qui est marquant, c’est que, dans les trois villes visitées d’ailleurs, les services et les maisons sont souvent barricadés. Les écoles sont entourées de barbelés, souvent on doit sonner pour entrer dans un commerce pour qu’on nous ouvre la porte grillagée, les entrées des cours des maisons sont grillagées et barrées en tout temps et souvent on voit des annonces (dans les hôtels, les restaurants, etc.) sur les mesures de sécurité. Le centre d’information touristique de Durban a aussi une grande affiche et un dépliant sur cet aspect. Mais encore une fois, tout s’est très bien déroulé pour nous et, au contraire, chauffeurs de taxi, d’autobus, piétons à qui nous demandions des informations, les gens ont toujours été corrects et même souvent très gentils.
À Durban, Gilles a travaillé beaucoup, en fait presqu’à tous les jours il avait soit une personne ou un groupe à rencontrer. Pendant ce temps, je faisais les petites boutiques, les petites courses à l’épicerie, repérer le bureau de poste. J’ai visité le petit musée de l’Apartheid. J’ai aussi visité un parc ouvert le 1er décembre 2000 en l’honneur de Gugu Dlamini qui a été l’un des premiers à parler ouvertement de son infection au VIH. On y trouve dans ce parc l’énorme ruban symbole international du SIDA/VIH.
La visite à Durban a été très productive sur le plan du travail. Je (Gilles) crois bien qu’on y retrouve le principal bassin de chercheurs et chercheuses sur les réalités masculines d’Afrique. J’ai d’abord rencontré Robert Morrell, professeur en éducation, sans doute le chercheur d’Afrique le plus connu sur le sujet. Robert a publié plusieurs textes sur le sujet, notamment pour l’Unesco. Il est en lien avec plusieurs des chercheurs connus comme Jeff Hern et Raywyn Connell. Il m’a aussi introduit à divers groupes dont Hope dont je parlerai plus loin, un centre de recherche avec lequel il contribue, notamment Victoria Hosegood que j’ai revue par la suite et un projet sur la paternité qui malheureusement est actuellement en période de latence faute de fonds. Puis le lendemain, j’ai rencontré Rob Pattman, professeur en sociologie, qui collabore beaucoup avec Robert Morrell et il y avait aussi Deevia Bhana (éducation) qui fait partie de la même équipe de recherche que les deux Robert. Les échanges ont été fort constructifs. Il faut voir que Rob Pattman est particulièrement productif et qu’il travaille fort pour produire des textes qui sont adaptés aux réalités de l’Afrique su Sud sans toujours devoir se référer aux textes provenant des États-Unis ou encore du Royaume Uni. De plus, il soutient très fort la production de textes écrits par des chercheurs « Blacks » en particulier qui ont moins souvent la chance de voir leurs textes publiés. Deevia et Rob ont beaucoup insisté pour dire que la question de la race demeure un enjeu très important en Afrique du Sud qui ne doit pas être masqué. Cela est pour eux d’autant plus important que les conditions sociales des « Blacks » demeurent encore très difficiles même si l’Apartheid est complètement terminé depuis 14 ans.
La rencontre avec la section de Hope Worldwide de Durban, prend la forme d’un groupe qui travaille auprès des hommes dans le cadre du programme « Men as partners ». Le groupe changera de nom sous peu pour s’appeler « Abalingani Gender Program », abalingani étant un mot Zulu qui signifie « égalité/amis ». À plusieurs égards, le groupe ressemble à ce que fait Sonke à Cape Town dont nous avons déjà parlé. D’ailleurs, ils utilisent en bonne partie le même matériel (trousse « One man can »). Cependant, l’échange a permis d’approfondir certains aspects plus spécifiques compte tenu que je connaissais déjà l’approche. Nous avons plus discuté de la réception du message. Les trois intervenants ont noté comment le message n’est pas si facile et que souvent les hommes rencontrés trouvent cela « un peu étrange ». Cela exige beaucoup de courage à ces hommes pour faire ce travail de sensibilisation dans un milieu où les rôles de genre sont très séparés et les pressions pour se conformer sont très fortes.
Dans le même sens, la rencontre avec Victoria Hosegood du Human Science Research Centre a été tout aussi enrichissante. Vicky m’a particulièrement parlé de recherches que son équipe a menées auprès des familles de milieu rural touchées par le VIH/SIDA, particulièrement pour comprendre comment les pères interviennent dans ces situations, d’autant plus que les données démontrent que plus de femmes sont atteintes que d’hommes. C’est donc dire que dans certaines familles, c’est l’homme qui doit veiller aux tâches domestiques et les soins des enfants en plus de ses tâches usuelles parce que sa conjointe est trop malade. Bref, une condition qui oblige de changer les rôles prescrits par la culture.
Enfin, nous avons aussi visité le Gay and Lesbian Community Health Centre de Durban. Il s’agit d’un centre axé sur la santé sexuelle, surtout en matière de prévention du VIH/SIDA. Plusieurs de leurs activités s’adressent aux jeunes en général et dans les écoles en particulier. Ils les abordent en parlant de santé sexuelle et au cours des ateliers, ils traitent des réalités gaies et lesbiennes. Nous reparlerons plus loin sur ces réalités, réalités qui ne semblent pas si faciles d’ailleurs, en utilisant un contenu provenant de diverses sources. De plus, ce centre offre un service de counselling individuel sous la forme d’entrevues en face à face, au téléphone ou encore, et même beaucoup, par Internet. Il faut dire que la situation à Durban est très différente sur ce plan que celle de Cape Town. Cape Town est reconnue comme une destination touristique prisée par la communauté gaie internationale. À Durban, les conceptions à cet égard sont, selon plusieurs personnes, plus homophobes.
Sous le conseil de Johan (notre ami de Cape Town), c’est à Durban que nous avons pris un tour pour faire un safari. On ne pouvait passer par l’Afrique du Sud sans faire de safari. Comme Gilles était beaucoup occupé, nous avons dû limiter le tour à une seule journée, donc une réserve plus proche de Durban. Un peu décevant ce tour! Les hippopotames et les éléphants n’étaient pas au rendez-vous. Les lions n’étaient pas dans le «wild life», ils avaient l’air à être dans un zoo. Nous avons cherché longtemps les girafes mais, quelle belle surprise, elles étaient six bien assises sur leurs pattes de derrière! Durant ce safari, nous avons visité un parc d’oiseaux prédateurs où nous avons eu droit à un spectacle. Sans en connaître la réputation, nous avions choisi au hasard un opérateur de tour, le 1st Zulu Safaris (http://www.1stzulusafaris.co.za). Un type d’origine grecque, super sympathique. Il nous a offert un breuvage à son restaurant et croyez-le ou non, il m’a (Jeanne-Mance) prêté sa caméra Nikon au long zoom, outil indispensable lors d’un safari. Le lendemain, il nous a remis un CD avec les photos de la veille en plus de venir nous reconduire à l’aéroport. Une autre rencontre agréable.

Johannesbourg
C’est la métropole de l’Afrique du Sud. Elle est souvent appelée de manière abrégée « Joburg ». Nous avons logé dans une petite auberge de jeunesse qui est en fait l’ancienne maison familiale du propriétaire. Cette auberge est bien tenue mais un loin de tout.
Puis, le samedi, nous avons rencontré un membre servas, Vaughan, qui recevait aussi ses parents en visite de Cape Town. Ils nous ont amené visiter Soweto. Soweto est non seulement le plus grand township de l’Afrique du Sud (4 M d’habitants), mais il a surtout été le centre de la résistance contre l’Apartheid. Nelson Mandela et Desmond Tutu y ont demeuré. Nous sommes arrêtés surtout au musée dédié aux évènements du 16 juin 1976. Les étudiants de tous les niveaux et les travailleurs ont manifesté pacifiquement contre l’utilisation exclusive de l’Afrikaan comme langue d’instruction malgré une répression très dure de la police. Tous les élèves se sont présentés à l’école en uniforme comme d’habitude et à 10h00 exactement, au lieu de prononcer la prière usuelle, ils et elles ont entonné un chant de libération et se sont regroupés pour une marche pacifiste. On revoit la célèbre image de Hector Pieterson, ce jeune étudiant de 13 ans abattu par les balles des policiers lors de cette manifestation pacifiste. Ce jeune garçon est dans les bras de MBuyisa Makubo, un étudiant de 18 ans.Cet homme est disparu à la suite de cet événement et personne ne sait où il est. Sa mère est décédée il y a trois ans seulement. Pendant toutes ces années, elle participait aux tours organisés en parlant de son fils. C’était donc un témoignage vivant de cette réalité. Elle en parlait en disant « MBuyisa est ou était mon fils ». Cette photo avait fait le tour du monde. On avait parlé alors partout dans le monde de l’Apartheid et de ce que cela représentait pour les « Non-Whites » d’Afrique du Sud. C’est à cette époque, on se souvient, que nous avions participé à diverses manifestations au Québec contre l’Apartheid . Ces évènements, qui ont fait le tour de la planète, ont été le point tournant de la longue bataille de la libération de ce régime raciste en amenant la communauté internationale à réagir. C’est impressionnant comment une photo peut avoir de l’impact. Lorsque nous étions au Viet Nam, nous avions revu la photo de cette jeune enfant courant dans la rue le corps brûlé par le napalm des bombes de l’armée américaine, photo qui avait alerté toute la communauté internationale et qui avait soulevé tout un mouvement d’opposition à cette guerre et cela même au sein des États-Unis. Ici, cela nous a mis en contact comment des jeunes ont été très actifs dans la lutte contre l’Apartheid, des jeunes universitaires mais aussi du secondaire et même du primaire. Quel courage ces enfants ont eu! Lorsque nous sommes sortis du musée, j’ai (Jeanne-Mance) demandé à Vera comment elle avait trouvé le musée. Elle m’a répondu les larmes aux yeux : « J’aimerais pouvoir retourner en arrière et refaire l’histoire ». D’un geste sur le ventre, elle ne pouvait plus parler. On s’est prises par les épaules et on a marché ensemble. Par la suite, nous sommes promenés dans les rues. Il faut dire que, contrairement à la plupart des townships des « Whites » y demeurent, surtout dans la plus belle section de Soweto appelée par le gens « Beverly Hill ». Cependant, 40% de la population de Soweto vit dans des conditions de grande pauvreté, comme par exemple, 9 000 personnes se partagent 90 toilettes et seulement cinq robinets d’eau fraîche, le tout sans électricité. On comprend qu’un résident, Walter Sisulu, ait pu dire que l’histoire de l’Afrique du Sud ne peut être comprise en dehors de l’histoire de Soweto (Richmond, Murphy, Wildman & Burke, 2002). Nous avons mangé dans un restaurant sur place qui offre un buffet avec des mets traditionnels zulus. L’expérience gastronomique était intéressante mais la discussion autour de la table l’était encore plus. En fait, nous avions eu l’occasion de parler avec des « Blacks », des « Whites », des « Indians » mais c’était notre premier échange avec des « Coloureds ». Ce sont des gens qui ont un grand sens de la justice sociale et qui s’opposent, avec raison, à toute différenciation sur la base de la couleur de la peau. On leur a demandé de nous parler de cette période de l’Apartheid, comment ils ont été victimes de la discrimination. Vera m’a répondu : « Nous ne sommes pas des victimes, nous sommes des survivants ». Je (Jeanne-Mance) me suis excusée de mon vocabulaire avec un très grand respect. Et le père de Vaughan, Leonard, à son tour de dire : « Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est que d’entrer dans un autobus et de voir à côté de vous un écriteau SIEGES RÉSERVÉS AUX BLANCS. Quelle belle rencontre, à la fois instructive, chaleureuse et émouvante!
Le dimanche a été pour Gilles une journée de travail intense alors que Jeanne-Mance est retournée à Soweto avec un tour organisé déjà prévu pour un couple de Montréal qui s’est retrouvé à la même auberge de jeunesse que nous. Le tour prévoyait une visite du Musée de l’Apartheid, un superbe grand musée réputé à travers le pays. Il décrit avec des vidéos, des photos, des textes et des témoignages, la bataille contre l’Apartheid et le courage que cette dure bataille a exigé. Les dernières images de ce musée sont celles du jour du vote en 1994, le jour où Nelson Mandela a été élu président.

Notes sur les réalités masculines en Afrique du Sud
De tous les pays visités à ce jour, deux pays se démarquent quant aux recherches sur les réalités masculines : bien sûr l’Australie mais aussi l’Afrique su Sud. On ne retrouve pas un très grand nombre de chercheurs sur le sujet, mais ils et elles sont suffisamment nombreux et aussi très productifs de telle sorte que cela apporte beaucoup plus de matériel. De plus, comme la plupart des gens parlent Anglais, il n’y avait plus cet obstacle de la langue que nous avions eu dans plusieurs pays. Enfin, les Sud-Africains, peu importe leur race, parlent facilement d’eux, de ce qu’ils pensent, ils sont simples et très faciles de contact. Ils aiment parler de leur culture respective. Bref, cela nous a permis de ramasser beaucoup de matériel. Malgré tout, nous tenons à demeurer prudents car notre compréhension demeure celle d’étrangers et notre temps d’immersion est demeuré très court (deux semaines) et essentiellement dans les grandes villes. Bref, cela demeure toujours une vision parcellaire et subjective d’une réalité fort complexe.
Sans aucun doute, l’idée de mettre un « s » à masculinités s’applique particulièrement ici. De manière générale, plusieurs nous ont dit que la société sud-africaine demeurait une société « macho ». Morrell (2001, dans Pattman & Chege, 2003) considère que les hommes sud-africains se sentent menacés par le taux de chômage alarmant et la montée des idées féministes et ils auraient, selon lui, tendance à se retrancher derrière une masculinité « macho » stéréotypée. Un fois cela dit, plusieurs personnes précisaient que cela diffère quand même beaucoup selon les groupes et sous-groupes. Ainsi, chez les « Whites », les réalités des « Englishs » ressembleraient de beaucoup à ce que l’on connaît dans les pays industrialisés. À plusieurs égards, ces hommes regarderaient ce qui se passe au Royaume Uni et aux États-Unis et tenteraient de rejoindre ces représentations de la masculinité qui leur apparaissent comme plus « modernes ». Plusieurs nous ont dit que les « Afrikaaners » ont des conceptions plus traditionnelles, surtout en milieu rural. Par ailleurs, les jeunes « Whites », de manière générale, ont des aspirations plus élevées, notamment d’aller à l’université et regardent la possibilité d’immigrer ensuite au Royaume Uni (Pattman & Bhana, 2006). Cela correspond, on comprend bien, à la classe sociale, puisque ce sont surtout des « Whites » qui sont propriétaires des entreprises et plus présents dans les milieux professionnels.
Cela diffère des aspirations des jeunes « Blacks » qui aimeraient bien aller à l’université mais qui sentent bien que leurs possibilités sont plus limitées et en ce sens, ils aspirent devenir chauffeurs de taxi ou un autre emploi technique (Pattman & Bhana, 2006). Encore une fois, cela va aussi avec la classe sociale, alors que le taux de pauvreté est très élevé au sein des populations « Blacks ». Nous parlons ici davantage des réalités masculines chez les « Blacks » parce qu’ils constituent la majorité et que les problèmes qu’ils affrontent se distinguent davantage des réalités masculines que l’on connaît et auxquelles il est possible d’associer, jusqu’à un certain point, les réalités masculines des « Whites ».
Tout le monde est unanime à dire que, de manière générale, les « Blacks » conservent des traditions très fortes au sein desquelles les rôles masculins et féminins sont très séparés. Cela serait d’autant plus vrai à la campagne et, par ailleurs, ces conceptions auraient tendance à changer en ville. Selon ce modèle, l’homme doit être le pourvoyeur, celui qui apporte l’argent à la maison et la femme doit s’occuper des tâches domestiques et des soins des enfants. Cette responsabilité de se préparer à devenir pourvoyeur représente une source de stress pour les jeunes hommes dans un contexte où ils sont nombreux à éprouver des difficultés scolaires et que le taux de chômage est très élevé (près de 40%) (Morrell, 2001 dans Pattman & Chege, 2003). Cette vision des rôles de genre est très hiérarchique au sein de laquelle l’homme domine et la femme est dominée et elle doit suivre son mari qui est considéré comme le chef de famille. Cette vision du père chef de famille amène certains à parler des « Donuts Family » devant le nombre élevé de familles dont le père est parti, ces hommes qui divorcent non seulement de leurs conjointes, mais aussi de leurs enfants (Naidoo, 2008).
Les enseignants interrogés par Pattman et Chege (2003) rapportent qu’ils et elles espèrent que les garçons obtiennent de bons succès sur les plans matériel et sexuel dans leurs relations avec les filles et qu’ils soient forts et solides dans leurs relations avec les autres garçons. Alors que, selon eux, les filles veulent devenir des objets du désir sexuel des garçons. Ils et elles considèrent qu’elles doivent être protégées des prédateurs sexuels potentiels. L’image de masculinité la plus souvent rapportée par les filles et les garçons est celle du directeur de l’école : « tough and bossy ». En fait, il y aurait très peu de modèles de masculinité empathique et « caring » disponibles pour les garçons à l’école (Pattman & Chege, 2003). Plus encore, les jeunes filles rapportent plusieurs problèmes de harcèlement sexuel par des enseignants masculins et des directeurs d’école (Pattman & Chege, 2003), ce qui renforce la vision des hommes comme des prédateurs sexuels éventuels. En fait, les garçons et les hommes, selon les perceptions des jeunes, auraient des instincts sexuels insatiables.
Des Zulus ont rapporté que, dans la vision traditionnelle, un « vrai » homme doit avoir plusieurs partenaires sexuelles et même être marié à plus d’une femme (note : la polygamie est légale pour certaines ethnies en Afrique du Sud, dont les Zulus). Ainsi, un homme qui a de nombreuses partenaires sexuelles est un appelé « soka », et ce qui est bien vu. Par ailleurs, un homme qui est perçu comme ayant peur des femmes et qui évite les relations sexuelles est appelé « iseshimane » et est, selon eux, stigmatisé et ridiculisé. De même, une femme qui a plusieurs partenaires sexuels est appelée « isifebe » et elle est très mal vue. Un homme peut avoir plusieurs femmes s’il a les capacités de les faire vivre. En pratique, en milieu rural, cela se calcule à la grosseur de son cheptel. Dans la plupart des ethnies, la famille du futur mari doit payer une « lobola », sorte de dot, aux parents de la future mariée. Lorsque deux jeunes adultes désirent se marier, ils doivent en discuter avec leurs parents. Par la suite, il y a une rencontre entre les hommes des deux familles (pères et oncles) et les familles s’entendent sur le montant de la « lobola ». Celle-ci est, nous a-t-n rapporté, établie selon l’éducation de la jeune femme. Chez les Zulus, on parle de l’équivalent de 11 vaches en milieu rural et d’une somme équivalente en ville, soit autour de 8 000 Rands. Cela serait un peu moins chez les Xhosas. Il faut dire que la grosseur d’un troupeau est identifiée comme signe de la richesse qu’un homme possède. Ainsi, les hommes évitent de tuer une vache pour la manger puisqu’elle symbolise sa richesse aux yeux de la communauté. Il semble que de plus en plus de couples ne se marient plus faute d’avoir en main la somme nécessaire pour la « lobola » et la noce qui suit. Après le mariage, la femme porte le nom de son mari, déménage chez sa belle-famille et est considérée comme appartenant maintenant à cette famille. C’est elle qui doit s’occuper de préparer les repas, faire la lessive, s’occuper des enfants et faire la bière… que le mari la boit en regardant sa femme travailler, selon quelques personnes. Lorsque j’ai questionné un Zulu s’il lui arrivait de participer à la préparation des repas, il m’a répondu « I am not allowed to do that ». Un peu comme dans la recherche de Pattman et Chege (2003) alors que cela semblait inimaginable pour les jeunes garçons de penser effectuer ces tâches dites « féminines » qu’ils considéraient comme étant « sales ». Les jeunes de cette recherche rapportaient d’ailleurs que les garçons sont beaucoup plus libres à la maison alors que les parents confient, selon eux, de nombreuses tâches à leurs filles, ce qui leur laisserait d’ailleurs peu de temps pour les travaux scolaires et encore moins pour les loisirs. Dans les discussions avec des hommes (Zulus et Xhosas), ils étaient étonnés d’apprendre que j’étais présent à la naissance de ma fille alors qu’ils n’ont pas le droit d’assister à la naissance de leurs enfants. Pourtant, certains participent aux tâches lorsque leurs femmes travaillent. Mais ils rapportent que, dès que quelqu’un d’autre se pointe à la maison, ils ne participent plus. Ils sentent la pression des pairs trop forte. Dans une recherche sur les familles affectées par le VIH/SIDA (Hosegood, discussion personnelle 2008), les chercheures ont observé que les conjoints de femmes lourdement atteintes effectuaient souvent les tâches domestiques et prenaient soins des enfants mais n’en parlaient pas et se sauvaient de la maison à l’arrivée d’un étranger comme pour présenter que leurs femmes avaient fait les tâches en question. Un pasteur Zulu me disait que les pressions de conformité aux normes traditionnelles sont très fortes de telle sorte que les hommes ont de la difficulté à partager les tâches domestiques. Selon lui, cela exigera encore beaucoup d’enseignement pour changer la situation.
Les Xhosas ont aussi d’autres traditions que les Zulus et la plupart des autres ethnies n’adhèrent pas (ou plus maintenant). Par exemple, vers 16 ans, la tradition veut que les jeunes garçons et filles participent à une cérémonie appelée « umtshotsho » au cours de laquelle les futurs couples se forment. C’est comme un grand party pour apparier les célibataires. Après, les couples ont le droit de coucher ensemble, se caresser, mais sans qu’il y ait pénétration, ce qui est perçu à cette étape comme tabou. S’il y a pénétration, il y a punition par la communauté. Dans les faits, cela se voit surtout s’il y a grossesse. Alors les hommes des deux familles et les deux jeunes se rencontrent et établissent le coût de la punition (nombre de vaches ou argent). Il semble que de nos jours, dans les villes, les couples se forment souvent à l’école sans qu’il y ait de « umtshotsho ».
Chez les Xhosas, il y a aussi un rite de passage important pour les garçons, une initiation, qui a lieu vers 18 ans. Selon ce qu’on nous a rapporté, les garçons sont appelés à aller dans la forêt sous la direction d’un aîné, choisi par la communauté pour diriger cette initiation. Les garçons doivent se dévêtir complètement une fois entrés dans la forêt. Leurs vêtements auparavant étaient brûlés, aujourd’hui ils sont davantage donnés à d’autres jeunes garçons, mais le fait de s’en débarrasser représente un signe que l’enfance est maintenant terminée et que le jeune accepte dorénavant de plonger dans la vie adulte avec les responsabilités dévolues à un homme. Pendant trois semaines, auparavant trois mois, ils doivent « se purifier ». Les femmes et les filles leur préparent des aliments spéciaux (à base de mais et de pain) et ils doivent survivre dans la forêt. L’aîné leur enseigne ce que doit être, selon la tradition, un homme ainsi qu’un langage spécial que seuls les initiés connaissent et qui n’est révélé à aucune autre personne. Puis au cours du processus, il y a la circoncision par l’aîné avec un canif. À la fin du rituel, les jeunes doivent porter un nouveau costume pendant un mois qui les identifie clairement comme nouveaux initiés. Ils ont dorénavant le droit de s’asseoir avec les hommes lors des cérémonies et des fêtes, droit qui ne leur était pas octroyé avant. De plus, ils ne doivent plus s’adresser aux garçons non-initiés. Dans les cérémonies et les fêtes traditionnelles, les groupes non-mixtes se forment selon le temps depuis l’initiation. Les plats circulent en commençant par les hommes plus âgés vers les hommes plus jeunes, puis les femmes et les enfants. Selon cette vision, un homme non circoncis demeure un garçon même s’il est d’âge mature ou très âgé. Dans ce cas, sa parole ne compte pas, elle n’a pas de valeur. On nous a rapporté que si les autres ne sont pas sûrs qu’un homme a effectivement été initié, ils lui demandent d’uriner devant eux ou encore baissent son pantalon pour vérifier s’il est circoncis.
Cela crée certaines tensions, semble-t-il, entre les ethnies. Les hommes des autres ethnies n’apprécient pas être considérés comme des garçons parce qu’ils ne sont pas circoncis et qu’ils n’adhèrent pas à ce genre de pratique. Entre autres, dans les vestiaires des centres sportifs ou encore dans les « hostels », plusieurs refuseraient d’aller dans les douches communes. Plus encore, il semble aussi qu’il y ait plusieurs jeunes qui décèdent à la suite de ce genre de pratique effectuée selon des méthodes souvent discutables. Cela est aussi un point soulevé par quelques personnes pour ne pas avoir de mariages interethniques ou interraciaux, de peur que l’un des conjoints ne veule pas que son fils participe à ce genre de rituel alors que l’autre y tiendrait mordicus.
Plusieurs nous ont dit et des recherches aussi le démontrent (Pattman & Chege, 2003), boire de la bière représente un marqueur de masculinité dans la plupart des ethnies. Dans un bar, lorsqu’une femme accepte qu’un homme lui paie une bière, cela signifie pour lui qu’elle est consentante à avoir une relation sexuelle avec lui. Souvent cette relation sexuelle a lieu dans la toilette attenante au bar alors que la femme demande à l’homme de l’accompagner (protéger). L’alcool est identifié par plusieurs comme l’un des grands problèmes surtout dans les townships.
Les garçons et les filles de l’étude de Pattman et Chege (2003) présentent leurs pères comme étant émotionnellement et physiquement distants, souvent occupés et préoccupés par d’autres engagements. En milieu rural, la mère ferait souvent le pont entre le père et les enfants. Les jeunes disent discuter de questions relatives au rôle de pourvoyeur avec le père, souvent les questions de frais de scolarité, mais pas les questions qui touchent les amis, les plaisirs, les anxiétés, les relations, etc. Par ailleurs, une recherche rapportée par Naidoo (2008) révèle que chez les jeunes « Blacks » (29%), aussi bien que chez les jeunes « Whites » (25%), la mère représente le modèle nommé en premier tant par les garçons que par les filles. Les pères arrivent en deuxième place chez les jeunes « Whites » (15%) mais seulement en quatrième place chez les jeunes « Blacks » (7%) après les chanteurs – surtout Madiba (17%) et les politiciens (8%). De plus, plusieurs jeunes ont parlé ouvertement qu’ils sont abusés dans leurs familles, notamment par leurs beaux-pères qui leur feraient sentir qu’ils n’ont plus de place à la maison (Pattman & Chege, 2003). Les quelques projets sur l’engagement paternel qui ont eu lieu ont éprouvé des difficultés à convaincre les pères de l’importance de leur rôle auprès des enfants, tant chez les « Whites » que chez les « Blacks », semble-t-il.
Pour ce qui est des réalités gaies, l’Afrique du Sud présente deux images différentes. D’un côté, l’égalité de droits est reconnue pour les gais et bisexuels. Par exemple, le mariage entre conjoints du même sexe est légal, du moins l’union civile. La ville de Cape Town est en compétition pour obtenir les prochains jeux gais. Cette ville est reconnue comme une excellente destination touristique pour les GLB et elle possède une infrastructure sur ce plan assez bien diversifiée. Johannesbourg est aussi, nous dit-on, de plus en plus organisée sur ce plan, même si cela demeure plus discret. D’un autre côté, les visions très centrées sur la famille exercent des pressions très grandes sur les personnes qui ne sont pas mariées. Cela est vrai semble-t-il chez les Afrikaaners, et aussi chez les « Blacks ». L’homophobie demeure très présente. Plusieurs nous ont exprimé qu’il est très difficile pour un homme d’afficher son homosexualité. Le harcèlement serait très fort – Pattman et Chege (2003) parlent de réactions hostiles - et certains nous ont dit que cela peut même aller jusqu’à la mort. Pour certains « Blacks », un peu comme on retrouve chez les Afro-Américains, l’homosexualité est considérée comme quelque chose de « western », liés aux « Whites ». Ainsi, un « Black » qui se considère « gay » aurait tendance, selon un homme gai que j’ai rencontré, à se définir comme féminin et à adopter un style plus efféminé et choisirait alors essentiellement des partenaires dits « straights », qui se présentent comme « hypermasculins » et ont souvent une partenaire ou sont mariés. En fait, on peut aussi penser que plusieurs activités sexuelles entre hommes ont lieu, notamment dans les « hostels » alors que les hommes doivent souvent partager le même lit (simple), sans pour autant que ces hommes se considèrent homosexuels.
Par ailleurs, sur ce plan comme pour plusieurs, les temps changent : les jeunes utilisent de plus en plus Internet, ils ont accès à des postes de télévision venant d’ailleurs, bref, il y a de plus en plus une ouverture vers ce qui est considéré comme étant la « modernité ». Il faut dire aussi que le modèle « western », dit « moderne » est perçu comme un modèle gagnant en matière de prospérité.
Nous avons parlé que pour plusieurs ethnies, le nombre de partenaires sexuelles représente un marqueur de masculinité. Cela bien sûr, a un effet direct sur la transmission du VIH/SIDA. L’Afrique du Sud, rappelons-le, présente un taux élevé de personnes atteintes (on parle d’une personne sur cinq). Les hommes seraient très craintifs, particulièrement dans les communautés « Blacks », de passer un test de dépistage. Plusieurs, semble-t-il, envoient plutôt leurs conjointes passer le test, croyant que si le test est séronégatif pour elles, ils ne sont pas eux-mêmes atteints. On comprend que cela représente une fausse croyance, mais elle semble très présente. On retrouve des distributrices de condoms un peu partout cependant, certains disent ne pas avoir confiance dans les « condoms gouvernementaux » prétextant qu’ils ne sont pas fiables. Ils préfèrent alors ne pas en mettre, nous dit-on. Les campagnes de prévention contre le VIH/SIDA auraient aussi des effets néfastes à quelques égards. Par exemple, Pattman et Chege (2003) rapportent que le fait de rapporter que les statistiques qui veulent que plus de femmes sont atteintes laisse croire aux jeunes garçons que ce sont les femmes qui sont responsables de la maladie, qu’elles en sont les porteuses. D’autres critiquent la vision qui identifie les hommes comme les grands responsables de l’épidémie, vision porteuse d’un jugement moral et d’une condamnation sociale qui provoque une réaction de défense chez bien des hommes selon eux. Par ailleurs, l’épidémie soulève un sentiment de terreur chez plusieurs hommes (Pattman. 2008, discussion personnelle) mais aussi une opportunité pour les couple de discuter davantage à propos de leur sexualité et de négocier (notamment le port du condom) (Morrell, 2008, discussion personnelle). En fait, cibler un groupe comme étant responsable de l’épidémie et le stigmatiser ne représente certes pas une solution.
Cependant, le travail de prévention apparaît complexe. Des groupes travaillent très forts auprès des hommes (notamment Sonke et Hope que nous avons visités) en tentant d’adapter le matériel. La perspective de partir du positif (« One man can ») et de lier la campagne de prévention du VIH/SIDA aux relations des hommes envers les femmes, notamment à l’égalité des genres s’avère une dimension clé de ce travail. Les groupes parlent aussi de la paternité et de l’importance de représenter un bon modèle pour ses enfants. Cela représente une bonne porte d’entrée puisque cela permet de toucher le sens de la responsabilité. Mais la tâche apparaît lourde. Il faut en quelque sorte changer la culture, toute la représentation de la masculinité, notamment qui associe masculinité avec alcool et prouesses sexuelles et l’écarte d’un réel partage avec les femmes et les autres hommes. Un membre d’un groupe disait de la réaction des hommes dans les townships : « They find it strange ». Sans doute, cela exige des hommes convaincus et convaincants pour y arriver. On peut penser que ces messages, aussi importants qu’ils soient, demeurent nouveaux, tellement différents de la culture traditionnelle, qu’ils sont difficiles à intégrer sinon pour ceux qui déjà se sont ouverts à la « modernité ». Néanmoins, le temps de sa durée (2003-2007) le Fatherhood Project a quand même rejoint 10 000 pères (Holtzhaisen, 2008). .
On ne peut passer sous silence le problème de la violence. L’Afrique du Sud occupe la deuxième place parmi les pays où on retrouve le plus de crimes, notamment les assauts sur la personne, les meurtres et le viol. Tout le monde en parle ici. Les maisons et les commerces, les écoles, partout d’importants dispositifs de protection sont installés de telle sorte qu’on a parfois l’impression de se retrouver emprisonnés. Les jeunes hommes « Blacks » sont particulièrement pointés du doigt. Cela est devenu tel qu’on en vient à voir tout jeune homme « Black » comme un danger potentiel. Ce groupe est en quelque sorte stigmatisé. Pattman et Bhana (2006) ont à cet effet écrit un excellent texte pour déconstruire cette image surfaite des « bad Black boys ». Quand ils en ont rencontrés en entrevues, ces jeunes étaient au contraire chaleureux, polis, attentionnés, concentrés. Bref, loin de l’image surfaite. Pillay (conversation personnelle, 2008) abonde aussi en ce sens. Les mesures prises sont souvent d’ordre de la répression mais en fait il faut se poser la question de ce qui est offert à ces jeunes. Issus de milieu de grande pauvreté – n’oublions pas qu’environ 61% des familles « Blacks » vivent sous le seuil de la pauvreté (May, 2000 dans Bhana, 2005c), fréquentant des écoles de piètre qualité, affrontant un haut taux de chômage, avec peu d’espoir de trouver un emploi convenable, habitant des logements surpeuplés, souvent dans des conditions lamentables, ces jeunes se retrouvent sans espoir. En même temps, ils voient bien que d’autres vivent dans des conditions nettement supérieures. Comme je (Gilles) le disais dans ma conférence sur le « Complexe John Wayne », ils donnent un sens à leur vie par la violence. En fait, Pillay le disait très bien, la question est beaucoup plus de l’ordre de comment créer de l’espoir chez ces jeunes et donc des mesures sociales à mettre en place pour les soutenir. Il faut dire aussi que très jeunes, les garçons apprennent vite à chercher à dominer, notamment les filles, alors que souvent les interventions des parents et des enseignants renforcent ces attitudes ou encore ils ne savent pas comment les contrer (Bhana, 2005a; Pattman & Bhana, 2006; Pattman & Chege, 2003). Plus encore, les garçons en particulier sont souvent victimes de corrections physiques à l’école (Pattman & Chege, 2003). La violence est aussi un moyen, il faut le dire, appris dès l’enfance pour se procurer de quoi manger. En ce sens, la violence s’apprend en très bas âge, elle n’est pas exclusive aux garçons, mais rapidement les garçons dominent (Bhana, 2005b; Morrell, 2001 dans Bhana, 2005b). Plus encore, rapidement, les garçons comme les filles apprennent à voir les garçons et les hommes comme ayant de fortes pulsions sexuelles et représentant des potentiels prédateurs sexuels (Bhana & Epstein, 2007; Pattman & Chege, 2003).
Il n’en demeure pas moins que plusieurs hommes se questionnent et désirent que les choses changent et se comportent différemment. Par exemple, nous avons rencontré plusieurs hommes, de divers groupes ethniques, qui s’impliquent et travaillent à ces changements. Par exemple, la recherche de Montgomery, Hosegood, Busza et Timaeus (2006) dans un village zulu montre que les conjoints de femmes infectées par le VIH, contrairement aux prescriptions de genre liées à la tradition, s’impliquent activement dans les soins à leurs conjointes et toutes les autres tâches qu’elles faisaient auparavant (tâches ménagères, soins des enfants, préparation des repas, etc.). Ce sont des choses qui passent inaperçues, souvent cachées. De même, l’enquête réalisée par Sonke Gender Justice Network à Johannesbourg en 2006 auprès de 946 hommes, 50,1% des hommes interrogées considèrent que les hommes doivent s’impliquer davantage pour mettre fin à la violence faite aux femmes (Sonke, 2007). Bref, il y a certaines prises de conscience qui se font et des groupes travaillent fort en ce sens.

Il nous reste à remercier très sincèrement tous ceux et celles qui nous ont accompagnés au cours de cette portion de voyage. D’abord les collègues chercheurs, notamment Robert Morrell qui rapidement après mon premier contact m’a répondu avec beaucoup d’enthousiasme. Merci aussi à Robert Pattman, Suren Pillay, Deevia Bhana et Victoria Hosegood qui font un travail extraordinaire et permettent que tout un corpus se construise pour mieux saisir les masculinités en Afrique du Sud, souvent avec peu de moyens. Merci à notre ami Johan Nel, une amitié qui s’est créée en cours de route, un homme de cœur que nous avons beaucoup apprécié. Merci aux familles servas qui nous ont chaleureusement accueillis : Antoinette et Clive de même que Recoice à Cape Town et Vaughan et ses parents Leonard et Vera à Johannesbourg. Merci aux groupes d’hommes qui nous ont accueillis, qui ont pris de leur précieux temps pour nous informer sur leur travail et répondre à nos multiples questions : l’équipe du Sonke Gender Justice Network de Cape Town, celle du Hope Worlwide South Africa de Durban et Sbongisni Mikhwanazi du Gay and Lesbian Community Health Centre de Durban. Merci aussi à Eli, Loyiso, Garth, Jabulani, Khonaye, Clifford et d’autres hommes rencontrées au passage qui nous ont livré plein d’informations pertinentes.


Références
Bhana, D. (2005a). « I’m the best in maths. Boys rule girls drool.” Masculinities, mathematics and primary schooling. Perspectives in Education, 23 (3) 1-10.
Bhana, D. (2005b). What matters to girls and boys in black primary school in South Africa. Early Child Development and Care, 175 (2) 99-111.
Bhana, D. (2005c). Violence and the gendered negotiation of masculinity among young black school boys in South Africa.
Bhana, D. & Epstein, D. (2007). “I don’t want to catch it”. Boys, girls and sexualities in HIV/AIDS environment. Gender and Education, 19 (1) 109-125.
Govender, P. (2008). Second video emerges at hostel. Dans Sunday Times, Sunday, March 2nd, p.5.
Holtzhaisen, E. (2008). Activism for No Violence Against Women and Children – Enough is enough. SAPS Journal, November 2007.
Mthethwa, B. (2008). Warring teachers won’t take a break together. Dans Sunday Times, Sunday, March 2nd, p.5.
Montgomery, C.M., Hosegood, V., Busza, J. & Timaeus, I.M. (2006). Men’s involvement in the South African family: Engerdering change in the AIDS era. Social Science & Medecine, 62 (10) 2411-2419. Disponible en ligne
Naidoo, S. (2008). Mum’s the word when it comes to role-models – Break down of traditonal family means fathers are often out of the picture. Sunday Times, Sunday, March 2nd, p.6.
Pattman, R. & Bhana, D. (2006). Black Boys with Bad Reputation. In Kan, S. & Pattman, R. (Ed.). Alternation (252-272). Durban: CSSALL.
Pattman, R. & Chege, F. (2003). Finding our voices – Gendered & sexual identities and HIV/AIDS in education. Nairobi : UNICEF.
Richmond, S., Murphy, A., Wildman, K. & Burke, A. (2002). South Africa, Lesotho & Swaziland. Melbourne, Oakland, London & Paris: The Lonely Planet.
Sonke Gender Justice Network (2007). Annual Report 2006-2007. Johannesbourg & Cape Town: Sonke.