samedi 31 mai 2008

26e envoi : France : douce France – Première partie : le Nord

26 e envoi: La France : douce France
La France, la douce, la grande et merveilleuse France aussi belle qu’en 1999 lorsque nous l’avions visitée en famille. La France est le 14e et avant-dernier pays de notre périple avant l’Angleterre. Nous publierons le blog sur la France en deux parties, une pour le Nord de la France et l’autre pour le Sud. Nous sommes partis à 4 heures du matin de chez nos amis d’Irlande (merci Rosaire et Sylvie pour s’être levés si tôt) afin de prendre l’avion à 6 heures pour se rendre à l’aéroport de Beauvais au nord e Paris, puis l’autobus et le train pour se rendre à Caen où nous attendaient nos amis Xavier et Françoise.

Caen
Nous connaissons Xavier et Françoise depuis 1999 alors qu’ils nous avaient reçus comme membres Servas. Et nous les avions accueillis en 2004 à Québec. Gilles les avait aussi revus en 2005 lors d’un congrès qui avait lieu dans cette belle ville. Comment les décrire ? Ce sont des retraités qui demeurent très engagés dans leur milieu et chacun à sa façon. Xavier est bénévole pour une association qui aide les gens à faible revenu qui désirent partir une petite entreprise. Cette association regroupe des personnes avec diverses compétences (comptabilité, gestion de personnel, finance, administration générale, etc.) qui sont mises à profit auprès des petits entrepreneurs. Ils les accompagnent pendant un certain temps pouvant aller jusqu’à un an. Il est aussi engagé dans le soutien à des orphelinats de pays défavorisés. Françoise, quant à elle, est présidente d’une association qui regroupe divers services pour les gens démunis de son quartier (comptoir vestimentaire, épicerie sociale, etc.). Ce fut très agréable de les revoir et de partager ensemble de bons repas, de belles visites et surtout de bonnes discussions autour de l’éducation des enfants et petits-enfants, de la situation politique en France et au Québec, des nos engagements respectifs, de nos projets, de nos voyages, de nos états d’âme etc.
L’épicerie sociale et le Centre socioculturel
Avec Françoise, nous avons visité ce projet qui lui tient tant à cœur. Nous y avons passé un avant-midi. Il s’agit d’une épicerie où les prix sont vraiment très bas comparativement au marché. Sur les tablettes, on retrouve divers produits de base de bonne qualité. Les membres de cette épicerie qu’ils appellent les adhérents, donnent de leur temps bénévolement pour ranger la marchandise sur les tablettes, tenir la caisse etc. Cela ressemble à nos comptoirs alimentaires au Québec. Au moment où nous y sommes rendus, il y avait beaucoup de monde qui « placotait » autour d’un café. En fait, il s’agit beaucoup plus qu’une simple lieu où acheter de la nourriture à prix très bas, c’est aussi un lieu de rencontre, de socialisation, se soutien social, et un moyen de reprendre du pouvoir sur sa vie, son milieu, son quartier. Une belle atmosphère de convivialité et de camaraderie régnait dans la petite cuisine.
Françoise nous a aussi fait rencontrer le directeur du Centre socioculturel, Gérard Catasso. Le centre socioculturel a vraiment pris une orientation axée sur le développement du pouvoir d’agir des gens défavorisés. Ils sont cinq permanents soutenant les groupes, incluant une garderie. Celle-ci est un lieu pour soutenir les habiletés parentales. L’équipe accorde une importance à mobiliser les pères et à les soutenir.
Françoise était très heureuse que nous y soyons allés. Pour elle, nos jetions en quelque sorte un regard extérieur sur l’organisation de ce service : nos observations, notre expérience avec les organismes communautaires, notre perspective de travailleurs sociaux. Je (Jeanne-Mance) crois qu’elle a vraiment apprécié nos commentaires. Mais il faut dire que leur travail est vraiment bien ! Nous n’avons pu profiter de la même expérience avec Xavier, mais cela sera peut-être pour une prochaine fois…
La région de Caen
Ils nous ont fait visiter quelques beaux attraits touristiques de la région environnante. Par exemple l’église St-Pierre de Thaon qui date du X1e siècle. Elle est située dans un tout petit village loin dans les bois. Le petit sentier qui nous y amène me (Jeanne-Mance) faisait penser à ces chemins que pouvaient parcourir anciennement les chevaliers du roi. On se croirait dans un autre siècle, d’autant plus que la mairie n’a pas l’idée de rendre cet endroit touristique. Cependant, on recueille des fonds pour la rénovation de l’église. Nous sommes aussi arrêtés au Prieuré St-Gabriel, construit au Xe siècle, où se tenait cette fin de semaine-là une exposition de poterie. Le prieuré est transformé depuis quelques années en école d’horticulture. En même temps que l’exposition d’artisanat (poterie) avait lieu une vente de plantes et de fleurs. Gilles en a profité pour acheter 30 tulipes rouges à nos amis. L’occasion était trop belle : les fleurs étaient superbes et le prix fort intéressant. Ensuite, nous avons vu le Château de Creully. Construit entre le X et X11 e siècle, ce château a été témoin de nombreux crimes, viols, injustices envers les serfs dont la vie dépendait du seigneur du château. On raconte que l’un des seigneurs tua froidement la couturière qui lui annonçait qu’elle attendait un enfant de lui. Il parait que la dame ayant maudit son assassin revenait hanter le château le soir … qui sait ? Aujourd’hui, il est la propriété de la mairie et on peut le louer pour célébrer divers événements comme un mariage, un baptême, un anniversaire etc. Une autre visite appréciée est celle du château de Brécy ou plutôt les jardins de ce château puisque celui-ci est une propriété privée qu’on ne peut visiter. Il s’agit de terrasses qui ont gardé une forte empreinte de l’époque médiévale où se côtoient des hêtres, des tilleuls, des herbes, des fleurs, des grandes colonnes, un potager, des fontaines, des chênes et bien sûr des roses et des sculptures. Il s’agit d’une expérience au cours de laquelle l’odorat et l’ouïe sont mis à contribution. Tout près de chez Françoise et Xavier se trouve la Colline aux oiseaux, un ancien dépotoir transformé en un magnifique parc. Encore une fois, la floraison n’était pas au rendez-vous sinon nous aurions pu voir des milliers de roses en fleurs. Comme cela doit être beau en saison ! Les enfants peuvent se promener dans un grand labyrinthe sans grand risque de se perdre. Je voyais nos deux petits-enfants, Elie et Manou s’amuser dans ce labyrinthe et crier « Mamie, est-ce que tu nous vois ? ». Caen est aussi près de la mer… ne pas s’y frotter les orteils relève du péché mignon. Jeanne-Mance ne pouvait manquer cette occasion et nous avons apprécié de faire un petit tour au bord de La Manche.
Souvenirs de la Deuxième grande guerre
Visiter Caen c’est aussi se souvenir. C’est se souvenir du débarquement de Normandie ; c’est se souvenir du 6 juin 1944 où 10 000 jeunes soldats sont tombés pour la liberté de la France ; c’est se souvenir du 19 août 1942 où les canadiens sont débarqués à Dieppe ; c’est se souvenir de l’échec du traité de paix signé à la suite de la Première grande guerre, celle de 1914-18. Toute cette mémoire est inscrite au Mémorial de Caen. C’est émouvant, nous qui venons d’un pays qui n’a pas connu la guerre, cela nous ramène dans une autre dimension. Les documents sont des documents d’archives, les photos sont celles de la guerre. Nous ouvrons ici une parenthèse pour souligner le travail immense que font les photographes de guerre. Cette dimension n’est pas seulement présente au Mémorial mais également dans les souvenirs d’enfance de Françoise. Alors qu’elle n’était qu’un bébé, sa mère a évacué Paris avec elle sous le bras pour fuir les les soldats allemands. Françoise se souvient du jour de la libération de Paris, elle avait 8 ans. Elle me disait que pour elle, le mot évacuation est difficile à prononcer. Je me rappelle qu’en 1999, nous avions visité le musée du débarquement d’Arromanche. Une visite qui nous avait marqués, d’autant plus que nous étions allés ensuite nous promener au cimetière canadien où sont enterrés des milliers de jeunes soldats avec des noms de famille qu’on connaît bien. En 2008, j’ai (Jeanne-Mance) la même émotion, le même sentiment qui m’habite : jamais plus la guerre, hélas, ce n’est qu’un rêve ! Lors de notre visite au Mémorial, Gilles et moi l’avons visité séparément. À l’intérieur du Mémorial, on projetait un film sur le jour J, jour du débarquement où la participation du Canada a été importante. Je me présente au guichet et on me demande mon billet d’entrée pour voir le film ; comme c’était Gilles qui avait les deux billets, j’ai dit à la préposée « madame, je suis québécoise et canadienne et vous ne pouvez me refuser l’accès à ce film surtout celui sur le jour J ». Elle me regarde avec un grand sourire et me dit : « Entrez ». Nous terminons cette partie sur Caen en rendant un hommage aux soldats morts au combat, ceux qui ont donné leur vie pour la liberté. Aussi aux soldats des camps ennemis car une guerre laisse des deux côtés, vainqueurs et perdants, des cicatrices qui peuvent durer toute une vie.

Paris
Dans la prévision du séjour en France, il y avait quelques incontournables pour le travail, dont deux temps à Paris et bien sûr pour la ville en elle-même. Compte tenu des disponibilités des amis, le passage à Paris s’est effectué en deux temps. Pour le premier, nous devions nous assurer d’être à Paris le 7 mai, date où il y avait au Québec un colloque organisé par l’équipe de recherche « Hommes et société » dans le cadre de l’ACFAS. Pour ce colloque, j’ (Gilles) avais préparé un dvd sur la situation des hommes à partir de notre voyage dans trois parties du monde : Australie, Asie et Afrique et Christine Castelain-Meunier, une chercheure à Paris, que j’admire beaucoup soit dit en passant, avait fait de même pour l’Europe. Alors, le soir du 7 mai, après avoir pris un excellent repas chez Christine et Francis, son conjoint, elle et moi, nous nous sommes retrouvés en liaison avec les participants au colloque à Québec. Cela faisait chaud au cœur d’entendre les voix de gens qu’on aime bien. La semaine suivante, c’était le deuxième temps avec ma participation au séminaire de doctorat dirigé par Christine. C’était intéressant de partager pendant deux heures avec des doctorants et des doctorantes qui travaillent sur des sujets similaires : la violence faite aux femmes, la paternité, etc., mais aussi de sentir la complicité dans les discussions et le dialogue avec Christine en particulier. Les discussions coulaient bien et se complétaient. Il faut dire que Christine est bien documentée et à jour, mais surtout, elle a un esprit scientifique bien aiguisé, sachant vérifier attentivement, osant remettre en question des a priori qu’on prend facilement pour des acquis. C’est ce qui fait aussi que ses recherches, notamment sur la paternité et sur les relations hommes-femmes, sont bien connues. Après le séminaire, nous nous sommes retrouvés à nouveau chez Christine et Francis pour partager un autre bon repas et poursuivre nos échanges. Ces deux temps avec Christine et Francis ont été très agréables avec des échanges sur la recherche mais aussi nos expériences de vie et de voyages.
Lorsque nous sommes arrivés en France, j’ (Gilles) avais lancé un message au Réseau Hommes France, le pendant du Réseau Hommes Québec, parlant de mon projet et s’il y avait des hommes du réseau intéressés à me rencontrer pour parler des réalités masculines en France. Cela me pouvait aussi me donner l’occasion de mieux voir le travail que le réseau fait. Rapidement, des réponses me sont parvenues de l’Ile de France (Paris), de Montpellier et de Grenoble, autant d’hommes intéressés mais en plus avec des offres d’hébergement. Quel bel accueil ! C’est ainsi qu’à Paris nous nous sommes retrouvés chez Marc et Annie. Marc est passé de l’administration à l’enseignement à la maternelle il y a déjà quelques années et maintenant il assume la direction de son école. Il a développé une passion pour la bio-danse et la danse thérapeutique et il avait un stage de danse à Stockholm la fin de semaine où nous étions à Nantes. Annie enseigne à la maternelle et elle fait peu à peu une transition vers les arts. Nous avons pu admirer quelques une de ses sculptures qui ornent leur appartement. Comme Arlette (de Angers) avec la peinture, elle a développé un style très personnel. J’ (Jeanne-Mance) ai mis une option sur une des ses œuvres qui m’a fascinée : une femme enceinte d’une femme adulte qui symbolise la renaissance. Quelle belle idée ! Marc s’est beaucoup engagé dans le RHF-Ile de France. Nous avons eu des échanges très fructueux. J’ (Gilles) ai aussi rencontré Dominique, un des fondateurs et souvent considéré comme la « mémoire » du RHF. Un jour, à la fin d’une conférence de Guy Corneau à Paris, Dominic s’est levé et a demandé s’il y avait des hommes intéressés à monter un groupe comme celui du Québec. Une soixantaine d’hommes ont laissé leur nom et c’est ainsi qu’a débuté le RHF, un groupe de parole autogéré qui fonctionne par groupes de base à la même manière que le Réseau Hommes Québec. Un des groupes de base, sous l’initiative de Yanick m’a invité à participer à une de leurs rencontres. Ce groupe se rencontre depuis l’automne 2006. Nous avons aussi rencontré Rédouane, un ami que j’ai connu en 2002 lors de son passage au Québec au Grand rassemblement du RHQ et que j’avais revu lors de mon passage à Montpellier la même année. Je l’avais contacté pour le voir à Montpellier mais cela correspondait à ses vacances au Mexique. Cependant, comme il suivait une formation sur la sociocratie (pouvoir populaire) à Paris quelques jours avant son départ en vacances, il nous a été possible de nous rencontrer à Paris. Quel plaisir de se revoir après ces années !
Entre deux rencontres (pour Gilles) et pendant ces rencontres (pour Jeanne-Mance), nous avons pu redécouvrir Paris. Paris est une ville qui se marche (un peu comme les grandes villes du monde) pour sentir ses odeurs, admirer ses beautés architecturales, observer les gens etc. Un matin, nous sommes partis tôt de chez Marc et Annie et nous sommes d’abord allés tout près au Parc des Buttes de Chaumont d’où nous avions une vue sur une partie de la ville puis nous avons marché le long du canal pour nous rendre dans Le Marais. Nous avons poursuivi notre marche jusqu’à la cathédrale Notre-Dame de Paris où nous sommes montés jusqu’en haut du clocher pour y admirer la ville dans toute sa splendeur. Parmi les autres lieux que j’ (Jeanne-Mance) ai visités, il y le Cimetière du Père La chaise, que nous avions visité en 1999 mais où il fait toujours bon revenir rendre un hommage à nos grands. . Le Musée du Louvre est certes un incontournable mais compte tenu de ma disponibilité j’ai choisi de visiter le magnifique Musée d’Orsay. Mais surtout, je (Jeanne-Mance) n’ai pas manqué mon rendez-vous avec la Tour Eiffel. Ce rendez-vous manqué date de 1999 où par peur des hauteurs, je n’ai pu me rendre au troisième étage de la Tour Eiffel ni même le premier. Catherine et Gilles avaient monté les 1665 marches pour s’y rendre. Donc, avait de partir en voyage, c’était clair que je reprenais ce rendez-vous. Cette fois, je suis montée jusqu’en haut. Que c’est beau et surtout j’étais fière de moi En tout, nous avons passé cinq jours à Paris. C’est trop peu et cela passe si vite. Il y a tant à faire et à voir dans cette belle ville ! Il faut dire que Paris est la ville la plus visitée du monde.

Villedieu La Blouère (Nantes)
Puis, la troisième étape était Nantes. En fait, ce n’est pas exactement Nantes mais un petit village à trente minutes de Nantes qui se nomme Villedieu La Blouère, chez nos amis Anne-Marie et Jacques. Nous avons connu ces deux médecins en 1992 alors qu’ils venaient participer à un congrès de Villes et villages en santé. Ils étaient en contact avec un médecin du CLSC de Sherbrooke où travaillait Gilles à l’époque. Le médecin responsable de leur séjour cherchait un hébergement pour Anne-Marie et Jacques et nous avons ouvert notre maison pour les recevoir. Depuis nous sommes toujours restés en contact : ils sont revenus quelques fois au Québec, nous les avions revus lors de notre passage en France en 1999 et Gilles en 2005. Ils ont chacun leur cabinet privé dans deux villages différents. Ils ont développé une pratique de médecine familiale très proche des gens, dans une perspective de santé globale. Ce n’est donc pas surprenant que, lors de notre passage, même si c’était congé pour eux, un homme s’est présenté à leur domicile pour consulter Jacques. Compte-tenu qu’il s’agissait plus d’un problème psychosocial, il lui a offert que je (Gilles) me joigne à la rencontre. Cela a été agréable de faire de la cointervention avec lui. Ils ont quatre enfants. Leur demeure est située juste à côté de la belle petite église du village. Tout comme Françoise et Xavier, ils sont tous les deux engagés dans leur communauté. Anne-Marie a été candidate socialiste aux dernières élections municipales. Elle est aussi présidente d’une association qui parraine un village de la Roumanie. Jacques est président du conseil d’administration depuis 1978 (il faut le faire !) d’un centre post-cure pour des personnes qui sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie. Ils voyagent beaucoup et ils prennent plaisir à faire ces voyages avec une thématique précise. Leur dernier voyage à Cuba les a amenés sur les traces de Che Guevara…quelle bonne idée…qui va faire son bout de chemin dans ma (Jeanne-Mance) tête. Voilà pour la présentation de ces deux magnifiques personnes. Lors de notre passage, la fille de leurs voisins se mariait. Nous avons été invités à participer à la noce, une autre après celles de l’Inde, de la Turquie, du Maroc. Deux traditions marquent les mariages dans cette région. D’abord, il y a la danse de la brioche de Vendée, une énorme broche que les parrains du et de la mariée promènent sur la piste et les mariés passent en-dessous du plateau. Ensuite, la brioche est partagée par les convives. Pour ce qui est de l’autre coutume, les mariés se mettent sous un parapluie, au milieu de la piste de danse, avec une musique de fond qui met l’ambiance – ce soit-là c’était celle du film « Mon fantôme d’amour » - et les invités lancent des serpentins sur le parapluie de telle sorte que, à la fin, on ne voit plus les mariés. Constatez par vous-même comment c’est joli. J’ai dit à Anne-Marie que j’ (Jeanne-Mance) aimerais importer cette idée au Québec.
Association Soleil-Levant
Compte tenu de la thématique de mon (Gilles) année d’études et de recherche, j’étais bien intéressé à visiter le centre dont Jacques assume la présidence. Ce centre est situé en campagne, près de Beaupréau, dans un lieu magnifique en bordure de l’eau et occupe notamment un vieux moulin à eau. Le centre peut accueillir neuf personnes, deux lits sont réservés pour des femmes, mais compte tenu que le centre est en pleines rénovations, il leur est impossible pour l’instant d’accueillir des femmes. Lors de ma visite, j’ai eu l’occasion de discuter avec des jeunes hommes (eh oui ! comme au Québec, ce sont surtout les jeunes hommes qui sont aux prises avec un problème de toxicomanie), puis la directrice m’a fait visiter les lieux et m’a informé sur l’intervention qui est faite au centre et leur approche. Notamment, chacun doit participer à la vie du centre, soit participer à l’entretien et à la rénovation, aux travaux de la ferme ou encore à la cuisine. L’intégration à une forme de travail constitue l’une des pierres d’assise de leur approche. Le séjour peut durer jusqu’à un an selon les objectifs de chacun, puis il est possible de s’intégrer à l’un des logements supervisés à Cholet ou Beaupréau avec un suivi qui peut durer aussi un an et enfin, le suivi peut se prolonger une troisième année alors que la personne vit par elle-même en logement autonome. Bref, une rencontre fort intéressante.
La Loire et autour
Il faut dire que nos amis sont des amateurs de randonnée. Ils nous ont amenés explorer des sentiers le long de la Loire sur une île entre Ingrandes sur Loire et Mont-Jean sur Loire. Fait assez particulier, pour traverser le bras de la Loire pour se rendre sur l’île, il nous a fallu prendre un petit bateau que nous avons tiré à l’aide d’une chaîne qui reliait les deux rives. Anne-Marie et Jeanne-Mance ont bien ri. C’était, jadis, une rivière qu’empruntaient les Vikings. Nous sommes aussi arrêtés à St-Florent-le-Vieil, un très charmant village avec une belle vieille église et surtout un beau point de vue de la campagne environnante et la Loire. Cela m’a (Gilles) rappelé mon passage en 2005 alors que nous avions fait une promenade le long de la Loire et nous avions profité du festival « Les Orientales » qui avaient lieu à ce même moment en assistant à un magnifique spectacle de musique traditionnelle ouzmène (j’espère que je me souviens bien du pays).
Le dimanche, nous avons fait une tournée « touristique » en nous rendant à Arçay. Nous voulions visiter le château de Montreuil-Bellay qui, de l’extérieur est un beau château, mais malheureusement nous étions trop près de l’heure du repas du midi et comme tous les commerces ferment à cette heure, nous n’avons pas pu le visiter. Nous ne nous sommes pas habitués à ce rythme chez nous. Nous nous sommes repris avec le Château de Brézé où Anne-Marie et Jacques ont célébré le mariage de leur fis Alexandre. Se marier dans un château, qu’en pensez-vous ? Ce château date du Moyen Âge. Il a ceci de particulier qu’on y trouve de vastes galeries souterraines. Il faut dire que ce château se situe tout près de la région des troglodytes. Puis, ce fût la visite à la maison d’Arçay. J’ai (Jeanne-Mance) vécu un autre beau et exceptionnel moment avec nos amis Jacques et Anne-Marie. Jacques a hérité d’une maison plus que centenaire (250 ans) de ses parents qui eux l’avaient eu de leurs parents. Cette maison se situe à Arçay, un tout petit village. Imaginez que dans cette maison, ils ont trouvé des vêtements datant des années 1850. Par exemple, il y avait des jaquettes de nuit en lin en très bon état, des bonnets de nuit. Il y avait aussi deux magnifiques capes noires (une pour l’été et l’autre pour l’hiver), mangées légèrement par les mites, mais qui demeurent magnifiques. Le déplacement en valait le coup. Jacques a trouvé aussi une copie du journal La presse, le journal du Québec, daté du 18 janvier 1914. Évidemment, dans cette maison, il y avait beaucoup d’autres choses anciennes. Depuis le temps que vous nous lisez, vous vous êtes rendus compte que nous aimons les antiquités, les objets qui ont une histoire et qui ont traversé le temps. Le lendemain, pour finir notre séjour à Villedieu La Blouère, nous avons fait un petit tour de la ville de Nantes à pieds puis nous avons pris le repas du soir avec nos amis dans restaurant du centre-ville, La Cigale, qui a conservé son cachet particulier d’époque. En route, comme Anne Marie chante dans une chorale, à ma demande (Jeanne-Mance) elle nous a chanté Il pleut sur Nantes de Barbara. Le lendemain, nous nous sommes levés très tôt, à 6 heures 30, pour prendre l’autobus pour Angers.

Angers
Nous ne pouvions nous retrouver dans la région de la Loire sans visiter Arlette et Jean-Pierre. Ce sont les premiers clients de notre gîte en décembre 2003. En 2003-2004, ils ont passé l’année à Sherbrooke où Jean-Pierre commençait un doctorat et Arlette une maîtrise à l’Université de Sherbrooke. Au cours de cette année-là, ils sont revenus chez nous à deux autres reprises avec des amis Français qui venaient leur rendre visite. Ils revêtent ainsi un petit cachet particulier dans notre cœur car nous avons développé beaucoup de complicité avec eux. Nous leur avions promis que si nous allions dans la région nous passerions à Angers les voir : promesse tenue ! Comme nous sommes arrivés tôt et que nos amis travaillaient, nous en avons profiter pour visiter le Château d’Angers, une forteresse royale dans laquelle se trouve la célèbre tapisserie l’Apocalypse. Cette tapisserie date du X1e siècle et relate les enseignements du Christ à St-Jean selon la compréhension de l’époque. C’est une œuvre très impressionnante, à voir absolument à Angers. Gilles a aussi profité de ce temps libre pour travailler sur sa présentation pour le congrès de Montpellier dans un petit restaurant coquet avec un bon capuccino alors que Jeanne-Mance complétait son tour de ville à pied.
Le soir de notre arrivée, ils avaient invité pour le repas leurs amis qui étaient passé au gîte, leur fille Claire que nous avions connue au Québec était aussi de la soirée avec son copain Anthony. Nous avons passé une très agréable soirée. Le lendemain, mercredi, comme c’est congé d’école en France ce jour-là, Arlette Arlette a amené Jeanne-Mance visiter l’Hôpital St-Jean et son musée où se trouve la merveilleuse tapisserie Le chat du monde de Jean Lurçat. L’hôpital St-Jean est l’un des plus anciens hôpitaux de France. Il a été construit sous patronage royal vers 1180. En 1865 les malades ont été transférés dans un nouvel hôpital qui est maintenant le CHU. C’est une œuvre d’une grande beauté qu’il ne faut pas manquer si vous passez par Nantes. Le midi, nous nous sommes retrouvés avec Jean-Pierre, Arlette et Claire. Il faut dire qu’Arlette est aussi une artiste peintre et quelques-unes de ses toiles sont exposées dans un restaurant où nous sommes allés prendre le lunch. Une fois le portefeuille renfloué après le voyage, je (Jeanne-Mance) vais lui acheter une toile qui m’a tombé dans l’œil. Une journée bien vite passée, mais le détour en valait la peine.

Cela termine la première partie. Nous vous reviendrons sous peu pour parler de notre passage dans le sud de la France à Aix-en-Provence, Montpellier, Grenoble et Toulouse.

Remerciements
Nos remerciements vont en premier lieu à ceux qui nous ont si bien accueillis : Françoise et Xavier à Caen, Anne-Marie et Jacques à Villedieu La Blouère, Arlette et Jean-Pierre à Angers et leur fille Claire et son copain Anthony, Marc et Annie à Paris, Christine et Francis à Paris. Un merci particulier à Christine Castelain-Meunier, une collègue-chercheure qui est en lien avec notre équipe de recherche depuis déjà quelques temps et avec qui les échanges sont toujours très intéressants. Des remerciements aussi à tous ceux et celles qui nous ont partagé leur savoir et de leur expérience dans leur organisation : l’équipe de l’Épi vert de Caen, Gérard du Centre socioculturel de Caen, Isabelle du centre Soleil-Levant de Beaupréau et les résidents, de même que Dominic et Marc du RHF Île-de-France Merci aux amis des amis qui se sont joints à nous pour échanger lors de notre passage : Philippe et Françoise à Caen, Jean-Paul et Jacqueline, Robert et Michelle à Angers. Merci enfin aux voisins de Anne-Marie et Jacques qui nous ont invité au mariage de leur fille.

samedi 24 mai 2008

25e envoi : L’Irlande : un trou dans les nuages

25e envoi : L’Irlande : un trou dans les nuages
L’Irlande est le 13e pays que nous avons visité. C’est la troisième plus grande île d’Europe. En fait, nous avons visité deux pays puisque l’île est politiquement divisée en deux : la plus grande partie est occupée par la République d’Irlande, qui est un état indépendant, et le nord-est par l’Irlande du Nord, qui reste encore aujourd’hui rattachée au Royaume-Uni, même si depuis 2005 elle a acquis une certaine autonomie. Au total, l’île est peuplée par un peu moins de six millions de personnes selon le recensement de 2006, soit 4,2 millions pour la République d’Irlande et 1,7 million pour l’Irlande du Nord (Brabis et al., 2003). L’Anglais est la seule langue officielle en Irlande du Nord alors que la République d’Irlande, outre l’utilisation massive de l’Anglais, travaille très fort pour revaloriser l’Irlandais, une langue d’origine Gaélique, mise au rancart lors de l’occupation du pays par l’Angleterre. Aujourd’hui, un peu partout dans la République, les écriteaux sont dans les deux langues officielles, sauf dans le comté de Donegal où l’Irlandais a préséance.
En 1921, des négociations entre le gouvernement anglais et les nationalistes conduisent à la partition de l’île : l’Irlande du Sud a gagné son autonomie puis son indépendance en 1937 et l’Irlande du Nord est restée fidèle à la couronne britannique (Killeen, 2006). « Ce n’était qu’en Ulster que se trouvait une population concentrée qui se considérait britannique par les liens de sang, d’histoire, de religion et d’allégeance », écrit Killeen dans son livre sur l’histoire de l’île (p.68). On le sait, l’Irlande du Nord a connu de affrontements importants jusqu’à tout récemment. En fait, la moitié de la population, les catholiques, ont longtemps souhaité intégrer la République d’Irlande alors que l’autre moitié, les protestants, veulent rester au sein du Royaume Uni. Cette situation a mené à des guerres de religion. Tout le monde a entendu parler de l’IRA et des Orangistes qui se sont livré des conflits de nature très violente. Les derniers accords signés en 2005 semblent avoir stabilisé la situation mais des tensions demeurent. Quelques personnes rencontrées nous ont dit qu’il est dangereux de vivre dans certains quartiers de la ville de Belfast, la capitale de l’Irlande du Nord. Par ailleurs, si l’Irlande du Nord a pu profiter longtemps des bénéfices de son rattachement au Royaume Uni, la République d’Irlande pour sa part est restée très pauvre jusque dans les années 1990. Depuis son adhésion à la Communauté européenne en 1973, et surtout depuis son adhésion à l’Euro, son développement économique est extrêmement dynamique et la place en tête des pays européens sur le plan de la croissance économique. On parle d’ailleurs du « tigre celtique » pour imager la puissance de sa croissance au cours des dernières années dont le taux est deux fois plus que le taux moyen de l’Union européenne (Brabis et al., 2003). Par contre, tous s’accordent à dire que ce boom économique est terminé et que l’économie atteint un certain plateau. Cela n’en fait pas moins que ce pays reconnu longtemps comme étant pauvre est rapidement passé au niveau des pays développés. Dans la même période, l’Irlande a ouvert ses portes à l’immigration. L’entrée de pays de l’est au sein de l’Union européenne a amené une vague importante provenant de ces pays, d’autant plus que la France et l’Allemagne ont continué de fermer leurs frontières pour encore quelques années. Plus concrètement, plus de 3 000 personnes en provenance de Pologne ont immigré, sans compter celles des autres pays, incluant ceux d’Afrique notamment. Le boom économique attirait une main d’œuvre la plupart du temps fortement qualifiée (Brabis et al., 2003). Ainsi, Dublin notamment s’est développée comme une ville champignon au cours de la dernière décennie.
Notons que 91% de la population de la République d’Irlande est catholique (Brabis et al, 2003) et que l’Église catholique est demeurée avec un ascendant très fort sur la population jusqu’au cours des années 1990 avec l’effondrement de l’autorité morale de l’Église, notamment à la suite de divers scandales sur des abus sexuels commis par le clergé. Il faut dire que le catholicisme a connu une période où il était interdit de pratique par la royauté anglaise. Les messes étaient prononcées dans des endroits isolés, des ruines ou encore avec des prêtres déguisés alors que la religion était enseignée derrière les haies, en cachette (« hedge schools ») (Brabis et al., 2003). Enfin, notons qu’il existe un groupe, les « Travellers », qui revendique le statut de minorité nationale. Ce groupe forme 0,6% de la population totale de l’Irlande. Ils et elles vivent à la manière des Gitans, se promenant de ville en ville, sans domicile fixe autre que leurs roulottes. Ce groupe est issu de divers corps de métiers dont un seul village ne pouvait suffire à la demande. Ainsi, ces hommes de métier et leurs familles se promenaient d’un village à l’autre pour offrir leurs services. Puis, se sont joints à cette cohorte des personnes en quête de nourriture lors de la Grande famine. Au fil des ans, ce groupe a développé une culture qui lui est propre. Se disant victimes de discrimination, ces gens font des représentations auprès de l’Union européenne pour obtenir le statut de minorité nationale et obtenir des droits en conséquence.
Bref, l’Irlande est un autre pays dont la population a dû se battre pour la reconnaissance de son indépendance et de ses droits civiques. En l’espace d’un peu plus d’une décennie, ce pays est passé d’un pays pauvre à un pays développé marqué par une forte croissance économique. Sur plusieurs plans, le pays est tourné vers l’extérieur, notamment vers les États-Unis, certains disant de manière caricaturale que l’Irlande est en train de devenir le 52e état américain.

Dublin et ses environs
J’ (Gilles) avais quelques contacts avec des groupes et des chercheures, mais surtout nous avions de très bons amis qui demeurent à Dublin depuis presque trois ans. Nous avons connu Rosaire et Sylvie alors que nous étions à Sherbrooke. En fait, c’est par l’entremise de nos filles que nous nous sommes connus. Tous les quatre étions impliqués à l’école alternative qu’elles fréquentaient. Jeanne-Mance assumait la présidence du conseil d’administration de l’école et Rosaire, la vice-présidence. Gilles et Sylvie faisaient partie du comité pédagogique. Par la suite, Sylvie et Jeanne-Mance, avions toutes les deux fait partie du conseil d’administration du mouvement guide. Rosaire est un musicien, il houe du piano, de l’accordéon et tout dernièrement il a appris cet instrument traditionnel irlandais le bodhran.Tout ceci pour dire que notre amitié dure depuis au moins 18 ans. Ils demeurent à Lime Cottage, une section de Donabate, en campagne irlandaise en banlieue de Dublin. De leur maison, on peut voir des faisans sauvages et des lièvres qui parfois, viennent dans leur cour. De temps en temps, des gens se baladent à cheval dans le chemin. Tout près, à quelques trois cents mètres, se trouve un estuaire au bord duquel il fait bon se promener. Ils sont grands-parents de deux charmantes petites filles et bientôt deux autres bébés viendront agrandir la famille. Nous étions très heureux d’être accueillis par ces amis québécois à l’aéroport. En même temps que nous, Rosaire et Sylvie recevaient la visite de François, le frère de Sylvie, et Marie sa conjointe, de passage avant un pèlerinage à St-Jacques de Compostelle pendant 6 semaines, soit un parcours de 800 km. Nous avons bien sympathisé ensemble et partagé de bons moments. Je crois toujours qu’il n’y a pas de hasard et que ces gens ne sont pas sur notre route pour rien.
Donabate, où vivent nos amis, est une petite ville du comté de Dublin. Pendant que Gilles avaient des rencontres, avec Sylvie, je (Jeanne-Mance) me suis promenée beaucoup dans les environs. Nous y avons visité des endroits magnifiques. Entre autre, nous avons vu le Collège Trinité de Dublin, où se retrouve, dans la bibliothèque, une exposition permanente du Livre de Kells. Il y a plus de mille ans, les moines de l’Irlande se regroupaient pour étudier les textes chrétiens. Le livre de Kells contient une copie en latin, richement décorée, des quatre Évangiles. Il fut rédigé au début du 9e siècle par des moines d’Iona qui travaillaient à Kells en Irlande. Ces quatre livres sont exposés dans leur originalité. Vous comprendrez que ces livres sont sous verre et à ne regarder que du bout des yeux. Appel à tous et toutes : comment peut-on garder aussi longtemps et aussi bien conservé des livres qui datent du 9e siècle ? Par la suite, nous nous sommes aussi rendues à pied à Malahide, le village voisin, où nous y avons visité un château.
Avec François et Marie, nous avons aussi visité le château d’Ardgillan Desmesne à Balbriggan comté Dublin qui date de 1738. On y retrouve un jardin de fruits, légumes et fleurs. Malheureusement la floraison n’était pas au rendez-vous puisque nous étions au printemps. Les châteaux en Irlande sont beaucoup plus modestes que ceux en France cependant. Ce fût une visite sur mesure juste pour nous. Encore une fois, on a pu constater les conditions misérables dans lesquelles travaillaient les domestiques : cuisine sans éclairage ou presque, plancher d’ardoise très froid, humidité dans les pièces, etc.
Pour ma part (Gilles), j’ai eu la chance de rencontrer Abbey Hyde, une professeure de l’University College Dublin à la Faculty of Nursing, Midwifery and Social systems. C’est une infirmière qui a un doctorat en sociologie. Ses recherches portent sur un sujet peu abordé : l’éducation des garçons à la sexualité. Elle m’a partagé son point de vue sur les changements économiques et sociaux en Irlande et leurs effets sur les rôles de genre. C’était très intéressant. J’ai aussi rencontré Seamus Connely de Menswork Ireland. Seamus fait un travail de pionnier. C’était amusant de voir aussi comment on se ressemblait : Seamus est de ma taille, tout comme moi, il est chauve, porte la barbe et des lunettes. Il a développé son propre modèle d’intervention auprès des hommes à partir du bilan de son expérience professionnelle et de celle de collègues. Sur ce point, plusieurs similitudes se dégageaient de nos observations. J’ai aussi eu la chance de pouvoir réaliser quelques autres entrevues individuelles.
Au cours de notre passage, nous avons fait la connaissance des voisins de Rosaire et Sylvie, John et Leight. Ils viennent d’ouvrir un restaurant indien à Drogheda où nous sommes allés. On a pu constater le talent de Lee dans la décoration puisque rien n’a été laissé à l’improviste : chaque objet, draperies, choix de peinture, etc. est pensé avec beaucoup de cohérence et d’élégance. Si vous passez par Drogheda, nous vous conseillons fortement le restaurant Indus. C’est tout à fait délicieux. Nous qui étions en Inde quelques mois auparavant, nous avons pu constater que leur projet est tout à fait réussi tant sur le plan de la nourriture et du goût que celui de la décoration. Nous vous donnons ici leur site internet : www.indus.ie. La veille de notre départ, nous avons pris le repas de soir tous ensemble chez nos amis. Cela nous a permis de les connaître un peu tout en célébrant avec nos amis.


Cork
Vraiment, l’Irlande a été l’occasion des retrouvailles. Nous avions appris en préparant le voyage que Célyne Élément, une de mes (Jeanne-Mance) bonnes vieilles amies du Saguenay que je n’avais pas vue depuis 24 ans, demeure en Irlande depuis 8 ans avec son amoureux Rick. Lorsque je l’avais contactée pour avoir de ces nouvelles et m’avait bien faite promettre de venir la rencontrer à Cork. Ce fut une rencontre de vieille amitié où nous nous sommes rappelés de bons souvenirs « du temps » mais aussi, intéressant de constater le chemin parcouru par nous deux pendant toutes ces années. Célyne demeure une femme cultivée, intéressante, curieuse, comme je l’ai toujours connue, qui voyage seule à travers l’Europe, l’Amérique latine etc. Elle s’occupe d’une maison d’accueil pour les femmes sans abri. Avec Célyne et Rick, nous avons fait un tour du quartier et évidemment avons pris une bière dans un pub.
Alors que Dublin est une ville qui s’est développé à un rythme effarant au cours de la dernière décennie et a multiplié de manière importante sa population, Cork est demeurée une ville de province plus simple, conservant son cachet plus typiquement irlandais même si elle est la deuxième plus grande ville de la République d’Irlande
Les pubs en Irlande
C’est l’occasion d’ouvrir une parenthèse. On ne peut passer sous silence la réalité des pubs en Irlande. Tout d’abord, il y en a plus ou moins 10 00 dans la République d'Irlande et 800 ont fermé depuis trois ans. Ce sont des lieux importants de socialisation. Ils sont utilisés comme lieux de rencontre lors des rituels : lors d’un mariage, d’un décès, d’un baptême, etc. On s’y retrouve aussi entre amis à n’importe quelle heure de la journée soit pour prendre une bière (une Guinness, bien sûr) ou un repas ou tout simplement écouter un match de football ou autre sport. Au moment où nous y sommes allés, à Cork, il y avait une finale de rugby (pas certaine, car le sport n’est pas ma tasse de thé). L’atmosphère était délirante, les gens debout, criaient, applaudissaient. Les enfants sont admis dans les pubs (malheureusement). Les mères, en général, prennent un verre et même deux… en balançant la poussette quand le bébé pleure. Les enfants grandissent donc dans une atmosphère qui intègre le fait de prendre quelques verres d’alcool comme faisant partie de la vie quotidienne. Les pubs ne sont pas de grands espaces physiques comme on peut voir au Québec. Il y a des racoins partout, très peu de chaises mais plutôt des tabourets et tables hautes. Dans certains villages semble-t-il, le pub fait aussi office de magasin général. Bref, le pub reste au cœur d’une bonne partie de la vie sociale en Irlande (Brabis et al., 2003). À tel point que certains considèrent que l’éloignement d’un pub est un facteur de risque de suicide en Irlande. Demeurer à 20 minutes d’un pub, c’est demeurer très loin.


Galway
Après notre séjour à Cork, nous avons fait une escale à Galway, dans le secteur ouest de l’Irlande. Plus petite ville mais plus touristique. Comme nous n’y sommes restés qu’une seule journée, nous nous sommes concentrés sur la vieille ville et nous avons pris plaisir à nous promener sur les belles rues pavées et le long des canaux. Gilles en a profité pour se faire réimprimer des cartes d’affaires. Au milieu de cette ville, se situe un grand mur médiéval, mais malheureusement ils ont construit un centre d’achat tout autour de ce mur. Quelle drôle d’idée ! Ce beau mur datant du moyen-âge est partiellement caché par les boutiques.

Le Comté de Donegal
Rosaire et Sylvie nous avaient proposé de partir ensemble pour un week end de trois jours afin d’explorer le nord de l’Irlande. Nos amis étaient déjà passés par le comté de Donegal qu’ils avaient beaucoup apprécié et ils désiraient nous le faire connaître. Notons au passage que c’est le seul comté qui a toujours utilisé l’Irlandais comme langue officielle. Tous les écriteaux sont en Irlandais sans version anglaise. Lorsque nous étions à Donabate, chez Sylvie et Rosaire, j’ai téléphoné à Catherine notre fille. Elle me dit que l’Irlande doit être un très beau pays. N’ayant pas encore sorti de Donabate je luis réponds que ce que j’ai vu jusqu’à maintenant, n’était pas si joli. Mais là attention, une fois sorti de Donabate et les alentours, les paysages sont à couper le souffle (j’ai dû me rétracter auprès de ma fille). Il faut dire que l’Irlande c’est avant tout un pays avec des paysages superbes. Lorsque nous avions la possibilité, nous avons choisi les routes scéniques, notamment celle de Doon où se retrouvent plusieurs éoliennes. Puis nous sommes arrêtés à Enniskillen voir le château Coole avec ses grands domaines. Sans doute que la plus belle attraction de cette première journée a été les Cliffs of Bunglass. Ce sont des falaises escarpées en bordure de la mer. On peut y apercevoir les ruines d’un ancien monastère de l’époque médiévale. Les rochers avancent dans la mer alors que les moutons réussissent à se faire de petits chemins à travers les falaises. Bref, un paysage à admirer sans dire un mot; c’est vraiment très beau. On peut difficilement traduire l’émotion devant tant de beauté. Nous nous sommes arrêtés sur le bord de la route, près de Kyllisberg et aussi près de Carrick pour y prendre des photos de la campagne avec la mer en toile de fond. La journée s’est terminée à Donegal, la ville où nous avons logé dans un gîte juste derrière le château.
Le lendemain, nous nous sommes dirigés vers la péninsule d’Inishowen. Le premier arrêt a été à Burt, à l’entrée de la péninsule, pour y voir le Fort Grianan of Ailreach. Construit sur une colline pour assurer la défense de la région, ce fort, en forme d’un cercle parfait, a été construit probablement autour de la naissance du Christ. Les constructeurs ont été attirés par la présence d’un site sacré, un lieu de sépulture qui date de la période du Néolithique. Un passage de 4,5 mètres d’épaisseur conduit à l’intérieur de trois terrasses où les murs atteignent environ cinq à six mètres de haut. Le site est impressionnant où la vue sur la région se dévoile de façon merveilleuse.
Les nuages
Autre parenthèse : nous avons intitulé L’Irlande un trou dans les nuages particulièrement en raison des nuages qui sont de toutes les formes où un nuage gris foncé côtoie un beau nuage d’un gris clair, presque blanc ou un nuage bleu. On a hésité entre «Un trou dans les nuages» ou «Les pelleteux de nuages»; vous comprendrez que nous n’avons pas hésité longtemps. On dirait que les nuages partent du sol pour se diriger vers le ciel. J’ai (Jeanne-Mance) beaucoup aimé photographier ces nuages magnifiques, nous vous en offrons quelques-uns. À certains égards, la campagne irlandaise rappelle celle de Nouvelle-Zélande avec les moutons et les vaches dans les collines vertes à perte de vue mis à part les nuages. Ce sont ces beaux paysages qui font que l’Irlande est surnommée « l’île d’émeraude » avec son infinité de nuances de vert (Brabis et al., 2003).
L’arrêt suivant a été le Musée de la famine à Doagh. Ce musée est financé par une fondation privée et vit exclusivement des revenus liés aux frais d’entrée. Le musée est logé dans des anciennes maisons d’un petit village. La visite commence d’ailleurs par la maison où notre guide avait passé lui-même son enfance et qu’il a quittée en 1980. Le musée relate l’histoire de la Grande famine de 1840 qui a durement frappé l’Irlande, surtout entre 1845 et 1848. Il faut rappeler que les Irlandais se nourrissaient presqu’exclusivement de mets à base de pommes de terre à l’époque. Les bateaux qui servaient pour la pêche avaient pratiquement tous été détruits par un ouragan peu avant rendant ainsi l’alimentation en poisson très difficile. De plus, l’Irlande venait de connaître une poussée démographique sans précédent. On peut imaginer l’effet catastrophique sur la population lorsque les champs furent dévastés par la maladie de la pomme de terre, le mildiou. L’Irlande était une colonie britannique et toute son économie était centrée sur les besoins de l’Angleterre. Ainsi, on nous rapporte que même si elle produisait d’autres légumes, ceux-ci étaient exclusivement exportés en Angleterre qui était aussi touchée par la maladie de la pomme de terre. Pour les Irlandais, il ne restait à peu près rien de telle sorte qu’il y a eu 1,5 million de morts et de nombreuses personnes ont été forcées d’émigrer vers d’autres pays pour survivre. C’est ainsi que près de trois millions de personnes ont émigré vers le Canada, les États-Unis, la France, la Suisse et l’Australie. D’une population, en 1840, de 8,5 millions de personnes, l’Irlande est passé, dix ans plus tard, à cause de la famine et de l’émigration, à environ 4 millions, soit la moitié environ de sa population initiale.
Ce n’est pas un musée ordinaire, bien au contraire, les commentaires, les maquettes, les reconstitutions des scènes sont révélatrices de la misère qu’a provoquée cette famine. Nous avons tous été touchés par les explications apportées par notre guide qui ne se contentait pas seulement de rapporter les faits mais de porter un regard critique, notamment sur l’absence de soutien de la part de l’Angleterre. Au plafond, tout le long du parcours on pouvait lire des inscriptions pour nous faire réfléchir sur le sort de l’humanité comme :
« Si vous pouvez marcher jusqu’à votre frigidaire et y trouver

de la nourriture, si vous avez des vêtements, un toit pour vous
couvrir, un lit pour dormir, alors vous êtes plus riches que 75%

de la population mondiale».
«Quand l’argent parle, la vérité garde le silence».
Ce musée qui a l’air tout à fait anodin de l’extérieur vaut le détour. Soulignons que le Canada a donné à l’Irlande des sculptures soulignant le 100e anniversaire de la Grande famine. Bref, ce musée est une belle réalisation sur le plan de l’histoire, sur l’éveil de la conscience.
Après le musée de la famine, nous avons fait un détour pour admirer le paysage de Malin Head, le point le plus au nord de l’Irlande. Il ventait énormément à cet endroit. À nouveau, le paysage était magnifique.

Irlande du Nord
Nous avons ensuite pris le traversier pour rejoindre l’Irlande du Nord, ce deuxième pays de l’île. Donc changement de monnaie puisque le Royaume uni ne s’est pas joint aux Accords de Maastricht de 1992 et continue de fonctionner avec la Livre et non l’Euro. De manière assez remarquable, toutes les informations sur l’Irlande du Nord couvrent cet état et non le sud et très souvent on retrouve des indications aussi pour l’Angleterre et le Pays de Galle. Cela détonne étrangement avec ce qu’on a retrouvé dans la République d’Irlande alors que la documentation couvrait habituellement toute l’île.
Notre premier point d’arrêt en Irlande du Nord a été la célèbre Chaussée des géants. C’est une éruption volcanique d’il y a quelques de 60 millions d’années, qui a façonné ce merveilleux paysage. Elle laisse sur son passage un promontoire qui s’avance dans la mer et qui contient plus 40 000 colonnes de forme hexagonale dont 30 % sont des pentagones et certaines ont jusqu’à 10 faces. La Chaussée des géants a été déclarée patrimoine mondial de l’Unesco en 1986 (Brabis et al., 2003). C’est vraiment un paysage spécial. Il y a plusieurs légendes associées à ce lieu. L’une d’elle est en lien avec l’Écosse où se trouve un lieu semblable. Il faut dire aussi que plusieurs Écossais ont immigré en Irlande du Nord. L’histoire veut que Finn, un brave Irlandais, lorsqu’il a traversé en Écosse s’est rendu compte que ses adversaires écossais étaient beaucoup plus costauds que lui. Alors il est revenu rapidement chez lui, un peu effrayé. Mais, nous dit la légende, il a été poursuivi par Benandonner, un Écossais costaud, Celui-ci a été aperçu par la femme de Finn, Oonagh, qui a caché son mari en l’habillant en bébé. Lorsque Benandonner a aperçu ce grand bébé, il a eu peur en pensant que si un bébé est aussi grand, son père doit être un géant. Alors il a repris la poudre d’escampette pour retourner en Écosse en reprenant la Chaussée des géants.
Les superstitions
Cela nous amène à ouvrir une troisième parenthèse. L’Irlande (les deux parties) est reconnue pour accorder beaucoup de place aux superstitions. C’est le pays des fées, des farfadets, des « banshees » (pleureuses qui annoncent la mort). On retrouve des dizaines de livres racontant mille et une légendes. Ces légendes tendent à disparaître au fur et à mesure que le niveau d’instruction augmente (Brabis et al., 2003). À cet effet, le musée de la famine rapporte :
« Les superstitions augmentent à cause du manque d’éducation.»

Belfast
Puis nous avons longé la côte pour nous rendre à Belfast, la capitale de l’Irlande du Nord. Nous sommes arrivés un dimanche soir et il nous a été difficile de trouver un restaurant. On nous a dit que tous les restaurants ferment à 21 heures. Cependant, cette pratique n’est pas exclusive à Belfast. Le dimanche soir, après avoir bien travaillé toute la semaine, c’est le temps de se reposer et de se préparer pour celle qui s’en vient.
Le lundi était consacré au travail pour Gilles avec deux rencontres très intéressantes. D’abord avec Colin Fowler du Men’s Project qui se déroule au sein du Parents Advice Centre (http://www.mensproject.org/ et http://www.parentsadvicecentre.org/). Dans le cadre de l’Année internationale de la famille en 1994, la coordonnatrice du centre a initié une réflexion sur la place des pères, eux qui participaient peu aux activités du centre. Par la suite, le Men’s Project a pris naissance et est devenu un projet régulier. Au départ, le groupe a pu bénéficier des subventions venant du Royaume Uni, mais maintenant que l’Irlande du Nord a un statut autonome, il revient au gouvernement autonome d’assurer le financement… qui n’a pas suivi. Le groupe fonctionne donc en bonne partie sur une base bénévole. Colin a été présent rapidement et connaît bien tout se qui se passe en matière de groupes et de services aux hommes en Irlande. Bref, la rencontre a été des plus enrichissantes.
Puis, le midi, j’ai rencontré Emma McKenna et Eileen Martin, deux chercheures du Queen’s University of Belfast. Il s’agit en fait d’une autre bien belle «coïncidence» au cours de ce voyage. Quelques semaines auparavant, j’avais reçu un courriel d’une collègue de l’université Laval, Florence Piron, du département d’information et communication me demandant si j’étais intéressé de me joindre à une équipe pour une demande de financement de recherche en vue de mettre sur pied une « boutique des sciences », ce qu’on appelle en Anglais, « Science Shop ». Je n’expliquerai pas ici ce qu’est une boutique des sciences, pour ceux et celles que cela intéresse, je vous invite à aller sur le site de Wikipedia
http://www.espacecsb.com/wiki/index.php?title=Les_Boutiques_de_sciences ou encore sur celui de la Boutique de sciences de Belfast
http://researchservices1.qub.ac.uk/Scishop/scisho/Scienceshop/
De manière assez surprenante, alors que nous étions en train de préparer la visite dans le nord de l’Irlande, je recevais ce courriel de Mme Piron disant que l’équipe de Belfast a accepté de nous parrainer dans la mise sur pied de notre projet. Je les contacte donc aussitôt et nous avons pu fixer une rencontre le lundi. Génial non! Cela m’a permis de constater de plus près comment la recherche peut être mise eu service du développement des ONG qui ont habituellement pas de financement pour le faire. Vraiment un projet superbe et j’espère bien que nous aurons le financement nécessaire pour mettre une boutique semblable sur pied au Québec.
Comme Gilles travaillait, Rosaire, Sylvie et moi (Jeanne-Mance) avons pris un tour de ville de Belfast. Nous avons pris quelques photos du haut du 2e étage de l’autobus. Nous avons vu entre autres le port où a été construit le Titanic. Autre coïncidence, au cours de la tournée du haut de l’autobus, qui avons-nous vu passer ? Gilles qui se rendait à sa deuxième rencontre !

Retour en République d’Irlande
Enfin, cette superbe tournée s’est terminée au sud de Dublin, au pub Johnnie’s Fox, un pub que nos amis voulaient nous faire connaître. C’est l’un des plus vieux pubs d’Irlande qui se trouve aussi être le plus haut (en altitude) pub d’Irlande. Ce pub servait aussi de lieu de rencontre des chefs de la résistance contre l’occupation anglaise. L’ensemble du pub est décoré d’objets antiques inusités. Comme on se retrouve dans un lieu très original (c’est le moins qu’on puisse dire!) et que, par ailleurs, la nourriture est bonne, ce pub constitue un attrait touristique reconnu.
Notons au passage que nous avons aussi écouté de la musique irlandaise. Une partie est constituée d’airs qui rappellent beaucoup la musique traditionnelle québécoise. En fait, les Irlandais qui avaient immigré tôt au Québec au début de la colonie, ont influencé fortement la musique traditionnelle française de telle sorte que les « reels » et les sets carrés qu’on connaît ont un fort ascendant irlandais. Mais aussi, l’Irlande est l’un des principaux berceaux de la musique celtique, cette musique qui a fortement influencé ma (Gilles) chanceuse préférée, une canadienne d’origine irlandaise, Loreena McKennit. On a aussi entendu Enya que j’adore.

Commentaires sur les réalités masculines en Irlande
Nous ne répèterons pas toutes les mises en garde qui s’appliquent ici comme ailleurs. Les réalités masculines ici aussi sont multiples, particulièrement au cours des dernières années avec l’arrivée massive d’immigrants mais aussi avec l’écart qui s’agrandit entre la ville et la campagne.
Les personnes que nous avons rencontrées s’accordent à dire que l’Irlande est passée d’une vision conservatrice des rôles de genre à une vision « moderne » au cours de la dernière décennie. En fait, longtemps l’Irlande est demeurée un pays relativement fermé, pauvre, avec une emprise très grande de la religion. On n’a qu’à penser que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) demeure illégale et que l’homosexualité n’a été décriminalisée qu’en 1993. C’est donc dire qu’en l’espace d’une quinzaine d’années, le pays a connu des changements majeurs : l’ouverture de ses frontières à l’immigration qui a changé le portrait de la population des grandes villes et en même temps ouvrait sur le monde, une croissance économique fulgurante qui a sorti le pays de la pauvreté, l’intégration des grandes orientations de l’Union européenne notamment en matière d’égalité des genres, une libéralisation des mœurs avec le recul de l’emprise de la religion.
Il n’en demeure pas moins que les valeurs traditionnelles influencent encore beaucoup le vécu des Irlandais. Par exemple, les femmes ont accédé assez largement au marché du travail mais… à temps partiel. Néanmoins, 35,1% des femmes sont à la maison (comparativement à 0,3% des hommes) (Indecon, 2002). Comme le dit si bien McKeown (2001), traditionnellement on s’attendait à ce que les hommes mettent l’accent sur l’investissement (gagne-pain, celui qui investit la carrière pour mieux faire vivre sa famille) et les femmes sur l’engagement (« involvement ») (soins aux enfants, relations sociales). Aujourd’hui, on demande et aux hommes et aux femmes de miser sur les deux plans. Le gouvernement de la République d’Irlande a ainsi mis en place diverses mesures pour soutenir la conciliation famille-travail. Cependant, plus concrètement, rares sont les pères qui les utilisent. En moyenne, nous dit McKeown, les Irlandais travaillent 46 heures par semaine et les Irlandaises 15 heures. De manière générale, ils travaillent plus d’heures par semaine que leurs vis-à-vis Européens, exception faite de l’Angleterre. En fait, plus du tiers des pères travaillent plus de 50 heures par semaine. Ils sont aussi nombreux à effectuer, en plus de leur travail régulier, du travail non rémunéré y consacrant souvent leur samedi ou parfois le dimanche ou encore quelques soirées dans la semaine. En matière de salaire horaire, les femmes étaient payées en général 28,4% de moins que les hommes en 2002 (Indecon, 2002) malgré une législation sur l’équité salariale adoptée dans les années 1990.
Par ailleurs, 86% des enfants de 15 ans et moins demeurent avec leurs deux parents (McKeown, 2000). La famille nucléaire demeure largement présente en Irlande même si le taux de séparation est en hausse importante comme dans la plupart des pays industrialisés. L’union de fait est aussi en progression comme mode de vie commune. McKeown (2000) observe une tendance actuelle chez les couples à se marier une fois le premier enfant né ou encore au cours de la grossesse. Chez les couples non mariés, la reconnaissance de la paternité ne va pas de soi. Pour que le nom du père soit indiqué sur le certificat de naissance, les deux parents doivent en faire une demande spécifique à cet effet, de telle sorte qu’environ 20% des enfants nés hors mariage grandissent avec la mention « père inconnu » (McKeown, 2000).
Plusieurs auteurs ont critiqué les services professionnels qui s’adressent essentiellement aux mères, n’offrent des services que le jour, et pour qui le père demeure trop souvent « invisible » (French, 1998; McKeown, Ferguson & Rooney, 1998; Murphy, 1996; Roberts & MacDonald, 1999, tous cités dans McKeown, 2000). Un peu comme des auteurs d’autres pays ont déjà noté, trop souvent dans les services publics, le parentage est conçu comme étant le maternage, sans préoccupation du paternage.
Sur le plan de la violence conjugale, en 1996 le gouvernement de la République d’Irlande a mis sur pied un groupe de travail sur la question (Task Force on Violence against Women) qui a fait de nombreuses recommandations. Aujourd’hui, l’Irlande s’est dotée d’un bon réseau de refuges pour femmes victimes de violence de même que de groupes de traitement pour conjoints aux comportements violents. Ce réseau pour les hommes est présent dans au moins 15 des principales villes de la République. Les groupes semblent bien structurés et sont soumis à une évaluation. Leur fonctionnement ressemble beaucoup au travail qui se fait au Québec : le travail de groupe est privilégié, de même qu’une coanimation homme-femme, les professionnels sont solidement formés, la démarche proposée est à la fois cognitivo-comportementale et liée à une analyse des genres et une remise en question de la masculinité traditionnelle, les groupes travaillent en étroite collaboration avec les refuges pour femmes victimes de violence, etc. Le seul point divergent est que le réseau relève non pas du ministère de la santé et des services sociaux comme au Québec mais du ministère de la justice (Debonnaire, Debonnaire & Walton, 2004; Directorate General of Human Rights – Council of Europe, 2005; Fitzgerald, 1997). Leurs recherches relèvent sensiblement les mêmes facteurs de risque que celles qui sont effectuées au Québec et aux États-Unis, cependant l’alcool semble représenter un facteur de risque plus important (Watson, Parsons & Hugues, 2005).
Notons qu’une large étude sur les abus sexuels a été réalisée en Irlande en 2002 (McGee, Garavan, de Barra, Byrne & Conroy, 2002). Il s’agit d’une étude récente et très bien faite qui apporte des données à jour sur la prévalence des abus sexuels, qui sont, bien sûr, toujours trop nombreux. Plusieurs données ressemblent à celle du Rapport Bagley réalisé à la fin des années 1980 en Ontario et qui sert encore beaucoup de référence au Québec. Ainsi, chez les enfants de moins de 17 ans, une fille sur cinq et un garçon sur six rapporte avoir connu une forme ou l’autre d’abus au cours de son enfance, dont avec une forme ou l’autre de pénétration pour 5,7% des filles et 2,7% des garçons. À l’âge adulte (17 ans et plus dans cette recherche), une femme sur cinq et un homme sur 10 a connu une forme ou l’autre d’abus sexuel dont avec une forme ou l’autre de pénétration chez 6,1% des femmes et 0,9% des hommes. Près de la moitié (47%) des répondants qui ont connu un abus sexuel n’ont jamais révélé l’abus à qui que ce soit (c’était la première fois lors de l’enquête) et c’était le cas de 60% des jeunes hommes qui ont connu un abus. Bref, des chiffres qui font réfléchir…
Les travaux de Abbey Hyde sur la sexualité des jeunes hommes sont aussi très intéressants. Notamment elle remet en question le modèle classique de travail en prévention de la santé qui veut que l’on parte des besoins exprimés. Or, son étude auprès des jeunes hommes révèle que ce que ceux-ci expriment comme « besoins » sont de l’ordre de ce qui est appris au cours de la socialisation. Leurs questions gravitent autour de comment mieux « performer » sur le plan sexuel, alors même que cette notion de performance limite leur sexualité et leur donne une pression indue. En ce sens, selon cette équipe, le travail de prévention doit aussi déconstruire ce modèle lié à la masculinité traditionnelle et amener les jeunes à réfléchir davantage sur le plan de la communication et de la relation à la partenaire sexuelle (Hyde, Howlett, Drennan & Brady, 2005). Cela est d’autant plus vrai en matière de prévention du VIH et des ITS alors que ses recherches montrent que les garçons se fient davantage à l’allure générale de la fille et son habillement pour déterminer s’il y a risque ou non (Hyde, Drennan, Howlett & Brady, 2008), ce qui, on le sait bien, ne constitue pas un indicateur fiable.
En ce qui concerne l’homosexualité, elle a été décriminalisée en 1993. La question de l’égalité de droits sur tous ses aspects est priorisée en Irlande depuis les années 1990. Cela a permis le développement d’un réseau de services pour la population gaie et une certaine visibilité, surtout dans les grandes villes. Notamment, lors de notre passage, la publicité pour le festival du théâtre gai se retrouvait partout dans Dublin. Par contre, plusieurs nous ont noté que la société irlandaise demeure relativement traditionnelle et que la discrétion reste de mise sur ce plan.
Enfin, sur le plan de la santé, l’espérance de vie plaçait l’Irlande en 2002 au 3e plus bas rang de l’Union européenne en cette matière avec une espérance de vie de 73,9 ans chez les hommes et 79 ans chez les femmes en République d’Irlande et sensiblement les mêmes chiffres en Irlande du Nord (74 et 79). Le suicide est surtout présent chez les jeunes hommes avec une croissance importante du taux dans les années 1990 devenant ainsi la deuxième cause de mortalité chez les jeunes hommes (moins de 25 ans). Pour cette catégorie d’âge, on retrouve six fois plus de garçons que de filles qui se suicident alors que pour toutes les catégories d’âge confondues, le ratio est le même qu’au Québec soit 80% des suicides commis par des hommes. Ce sont les hommes célibataires qui ont le plus haut taux d’hospitalisation pour des problèmes de santé mentale. Comme dans plusieurs pays industrialisés, on observe une diminution du taux de fumeurs qui est passé de 31% en 1998 à 27% en 2002, mais avec une proportion un peu plus élevé chez les hommes que chez les femmes (28% c 26%) (McEvoy & Richardson, 2004).
Ce qui marque le plus est sans doute la question de l’alcool. Au cours de dernières décades, la République d’Irlande a connu la plus forte croissance d’usage d’alcool de l’Europe. De 1989 à 1999, l’usage d’alcool per capita a grimpé de 41% alors qu’il a diminué dans 10 pays européens. Il a continué de monter au cours des années 2000 pour devenir le 2e pays après le Luxembourg en matière de consommation d’alcool avec un taux, en 2000, de 11 litres d’alcool pur per capita (9,1 pour la moyenne en Europe) (Strategic Task Force on Alcool, 2002 dans McEvoy & Richardson, 2004). Le taux relatif à ce qu’on appelle le « binge drinking » (se saouler) monte aussi selon National Health and Lifestyle Surveys (Kelleher et al., 2003 dans McEvoy & Richardson, 2004). En Irlande du Nord, le taux d’hommes ayant consommé de l’alcool au-delà des limites et à un niveau dangereux pour la santé était de 15% en 1988 et est monté à 28% en 2000 selon McWhirter, 2002 (dans McEvoy & Richardson, 2004). Les recherches en Irlande indiquent que l’alcool représente un facteur de risque important sur le plan du suicide. On parle de « drink culture » surtout en lien avec la publicité dans le sport (Richardson, 2003 dans McEvoy & Richardson, 2004).
Terminons en soulignant que l’Irlande est en pleine ébullition à la suite des changements très rapides ayant eu lieu au cours de la dernière décennie. Cela laisse beaucoup de place à inventer et construire sur des bases solides en tenant compte de l’expérience acquise dans d’autres pays. Par exemple, sur le plan de l’égalité et du travail auprès des hommes, l’Irlande n’a pas connu une vague féministe très forte dans les années 1970 comme au Québec ou en France. Le mouvement est plus récent et s’appuie considérablement sur les lignes directrices des grandes organisations internationales, notamment l’Accord de Beijing (Crowley, non daté). Cela fait en sorte aussi que les services aux hommes qui sont en émergence sont moins confrontés à de la résistance venant de groupes plus radicaux comme on voit chez nous. Au contraire, les liens semblent s’établir de manière étroite et harmonieuse entre les groupes qui travaillent auprès des femmes et ceux qui travaillent auprès des hommes. Il n’en demeure pas moins que les services aux hommes demeurent relativement limités. Tout comme au Québec, le réseau le plus développé et le mieux financé est celui s’adressant aux hommes aux comportements violents. Mais différentes initiatives se développent, le plus souvent bénévolement, sans soutien financier de l’état, surtout dans le travail de valorisation de l’engagement paternel et quelque peu sur le plan de la santé des hommes. Le Men’s Project est sans doute l’une de ces belles initiatives : travail en concertation, notamment avec les groupes de femmes, soutien aux initiatives locales, campagnes de sensibilisation, mise sur pied de groupes plus spécifiques répondant aux besoins des hommes, etc.

Nos remerciements
Il nous reste à remercier toutes les personnes qui ont collaboré à ce magnifique séjour en Irlande. Nos premiers remerciements vont à Sylvie et Rosaire, nos amis qui nous ont hébergés et fait connaître la belle Irlande. Notre second merci va à Célyne et Rick pour notre séjour à Cork. Aussi à François et Marie que nous avons eu le plaisir de revoir. Ils marcheront pour nous le 3 juin sur le chemin de St-Jacques de Compostelle. Un merci à John et Lee, leur agréable compagnie et félicitations pour la réussite de leur restaurant.
Merci aux personnes que j’ (Gilles) ai rencontrées et qui ont bien voulu partager leurs observations et recherches sur la condition masculine en Irlande : Abbey Hyde de l’UCD, Seamus Connely, de Menswork, Colin Fowler, du Men’s Project et enfin, sur un autre plan, Emma McKenna et Eileen Martin de la Science Shop de la Queen’s University de Belfast.

Références
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