lundi 7 janvier 2008

LE CAMBODGE

17e envoi : Cambodge

Après le Viêt Nam, nous voici au Cambodge. Plus petit pays encore que le Laos, le Cambodge, on le sait, a connu une période fort triste avec le génocide de plus de deux millions d’habitants lors du règne des Khmers Rouges sous la direction de Pol Pot de 1975 à 1979. La guerre civile ne s’est terminée complètement qu’en 1999, car c’est l’année des dernières ententes de paix. Il s’agit donc d’un passé récent qui a laissé des marques indélébiles. Le Cambodge, un peu comme le Viêt Nam, est un pays en pleine reconstruction, mais plus pauvre et avec moins de moyens, sinon de nombreuses ONG (organisations non gouvernementales) qui sont bien implantées dont l’UNESCO, Care, etc. Ces ONG sont souvent soutenues par des Suédois, des Français, des Américains, etc. Il est très facile d’aider le Cambodge. Très souvent on lit des affiches comme « Appuyer le mouvement contre le tourisme sexuel » (notre traduction), ou encore des magasins donnent un montant d’argent qui provient des ventes pour remettre aux personnes handicapées, ou si ce n’est carrément des organisations coopératives qui fabriquent des objets et les vendent. Aussi, j’ai (Jeanne-mance) un livre de recettes dont le coût est de 33.00 $. Ce montant permet de former gratuitement un jeune pendant un mois... Les Canadiens (dont les Québécois) semblent beaucoup moins présents dans ces ONG. Le taux de personnes illettrées demeure très élevé. Amener les enfants à compléter un cours primaire demeure un énorme défi. Un article dans le journal relatait comment les enseignants sont très mal payés. En fait, leur salaire leur permettrait d’avoir de quoi vivre pour 10 jours dans le mois; pour les autres journées, ils et elles doivent vendre divers objets aux parents des enfants, leur demander des sous, ou encore se trouver un travail d’appoint. Selon un homme que j’ai interrogé, il en est de même avec les policiers de telle sorte que la corruption serait très forte; les policiers par exemple, m’a-t-il dit, peuvent arrêter un automobiliste sans aucun motif, réclamant une amende sur le champ en argent comptant, sans papier, histoire de compléter leurs revenus trop minces.
Nous sommes demeurés surtout à Phnom Penh, la capitale, et Siem Reap, le centre culturel du pays et aussi la ville la plus touristique à cause des ruines d’Angkor Wat, considérées comme l’une des merveilles du monde. Le sourire des Cambodgiens est franc, sympathique, sincère et cordial. Nous avons trouvé qu’il se dégage quand même une tristesse dans ces sourires.

Phnom Penh
Comme nous sommes arrivés le 24 décembre, nous avons choisi pour cette première nuit un grand hôtel, plus chic que d’habitude, histoire de souligner Noel. Cela nous permettait aussi d’avoir Internet dans la chambre et ainsi pouvoir appeler nos familles le 25 au matin soit la veille de Noel au Québec. Nous en avons profité pour prendre la vie un peu plus aisée : piscine, jacuzzi, massage des pieds, apéro au bar puis le buffet, très bien garni et le lendemain un beau brunch. Bref, « on s’est payé la traite », comme on dit chez nous.
Puis, le 25, nous avons changé d’hôtel pour le reste de la semaine, un hôtel plus modeste, correspondant plus à notre budget, mais quand même propre et bien, situé sur la rue 278, soit au centre-ville.
En après-midi, nous avons rencontré Kimsore et Bunthan du Cambodian Men’s Network. Ils nous ont amenés visiter leur centre et on y a rencontré plusieurs membres de l’équipe. Cela nous a donné une première idée de leur travail très intéressant. Le CMN est une section du Gender and Development Cambodia (GAD/C) qui travaille à favoriser l’égalité des genres et la lutte contre la violence envers les femmes, incluant le viol et le trafic des femmes. Il y a donc un réseau de groupes de femmes et un réseau de groupes d’hommes qui travaillent ensemble. Les femmes avaient identifié qu’il leur était difficile d’aborder les hommes alors qu’il était plus facile pour un homme d’aborder un autre homme. De plus, les hommes qui ne veulent pas entrer dans ce modèle dominant de masculinité se sentaient isolés. Ainsi, Kimsore Chhay a monté ce projet qui est financé par diverses ONG. Le CMN a maintenant plus de 1000 membres, surtout dans quatre provinces où le réseau est mieux implanté. Les organisateurs comptent cependant élargir le réseau à d’autres provinces au cours des prochaines années. Le réseau est aussi très actif dans la campagne du White Ribbon (contre la violence faite aux femmes), mieux connue chez nous au Canada anglais qu’au Québec. Les trois principaux messages que désire livrer le CMN sont : 1. la violence envers les femmes n’est pas seulement une question pour les femmes mais aussi d’intérêt pour les hommes; 2. la violence n’est pas une façon de démontrer sa masculinité; 2. un respect mutuel (entre mari et femme) peut mener à la paix et la prospérité pour la famille, la communauté et la nation (traduction libre de Chhay, 2007).
Ensuite, nous sommes allés souper au restaurant Friends International. Dans la même lignée qu’à Vientiane et Hâ Noì, il s’agit d’un restaurant qui forme des jeunes de la rue à la restauration, au service à la clientèle, au service aux chambres et leur offre du travail. C’est une ONG qui a monté ce projet. On y mange bien, à prix abordable, et en même temps on soutient la réinsertion de jeunes de la rue.
Au cours des deux jours qui ont suivi, Bunthan nous a amenés visiter deux groupes locaux dans des provinces avoisinantes. Donc, un départ très tôt le matin et quelques heures de route à travers la campagne pour aboutir au premier village, Teuk Hot Village, dans la province Kampong Chhnang, où avait lieu dès 9h00 le matin, une rencontre d’un groupe d’hommes du village, rencontre qui avait lieu dans une pagode dans un local de classe des moines. Il devait y avoir une bonne cinquantaine de personnes, dont quelques femmes. Les leaders locaux du CMN animaient le tout, avec diverses présentations et des questions des participants, parfois certains osaient même parler de leur propre violence, le tout avec des résumés en anglais soufflés à nos oreilles par Bunthan puisque la rencontre se déroulait en Khmer et que, malheureusement, nous ne comprenons pas du tout cette langue. Puis, il y a eu une pause avec thé et sucreries locales (que Jeanne-Mance a adorées), les participants ont quitté pour ensuite avoir une rencontre avec les responsables locaux, hommes et femmes. On nous a ouvert la porte pour poser nos questions, ce que nous avons fait avec plaisir ayant ainsi l’occasion de mieux comprendre comment ils et elles travaillent, notamment sur le plan du recrutement. C’est comme cela qu’on a appris qu’en bonne partie, le recrutement se fait par du porte-à-porte. Il faut voir aussi que les membres du CMN et de son pendant féminin sont bien implantés dans les communautés locales, certains et certaines étant aussi conseillers municipaux. Puis les gens ont posé leurs questions mais il restait peu de temps. Puis on a dîné avec le groupe. Cette rencontre a été un beau moment, notamment de voir comment des gens s’impliquent ainsi bénévolement dans un travail communautaire de la sorte, engagés, convaincus de l’importance de favoriser l’égalité des genres et d’arrêter la violence dans un esprit de développement de leur communauté. On y retrouve plusieurs fermiers et fermières, des petits commerçants, des femmes au foyer, aussi bien que des professionnel-les. Tous remettent en question le modèle d’homme hérité de la tradition cambodgienne pour mieux l’adapter à la société moderne, notamment sur le plan du respect des femmes, du partage des tâches domestiques, etc. Les questions du groupe étaient aussi d’un bon niveau. Par exemple, une femme posait la question « Comment faire pour favoriser l’indépendance économique des femmes ? ». Répondre à cette question, vous le devinez-bien, n’est pas évident alors que dans la société cambodgienne seuls les hommes sont propriétaires, notamment de la ferme. Ainsi, il n’est pas évident pour une fermière de se séparer ou de demander le divorce alors qu’elle se retrouvera sans le sou, à la rue, d’autant plus que le divorce est encore très mal vu, nous dit-on.
Puis, on a fait un autre bout de route pour se rendre à l’endroit où nous logions pour la nuit pour être plus près du deuxième groupe. Le lendemain matin, une autre rencontre, cette fois avec le groupe de Kandeung Meas Village, dans la province Pursat. La rencontre avait lieu à l’extérieur de la maison d’un membre du groupe. Le village est très isolé, les maisons éloignées les unes des autres. Cela nous plongeait véritablement dans la vie de village. Une quarantaine d’hommes étaient assis par terre en cercle de même que cinq ou six femmes. La rencontre s’est déroulée un peu comme celle de la veille. Les hommes étaient invités à parler de leur vécu : « Nous sommes une grande famille, on peut parler de tout et s’entraider » (traduction libre, bien sûr, de notre interprète), précise une des femmes, notant du même coup son non-jugement. Quelques hommes ont dit qu’il leur arrivait avant de violenter leur conjointe mais que le groupe leur a appris à changer de comportement. Certains ont noté des moyens qu’ils prennent lorsqu’ils sentent la . tension monter au sein du couple, notamment sortir et rencontrer un membre du CMN. Sachant que Jeanne-Mance animait des rencontres de soutien aux habilités parentales, l’un d’eux l’a questionnée sur le comportement à adopter avec les enfants lorsque ceux-ci n’écoutent pas, sans user de violence,. je (Jeanne-Mance) lui ai demandé quel âge a son enfant et il s’est empressé de répondre que « ce n’est pas pour lui mais pour un ami »… Puis après la pause, une rencontre avec les membres locaux du CMN et du groupe de femmes, comme nous l’avions fait la veille. Cette fois-ci l’échange prend davantage la forme de discussions de cas. C’était assez impressionnant de voir comment ces femmes et ces hommes, tous des aidants naturels, se débattent avec des situations qui ressemblent étrangement à celles que les intervenants et intervenantes professionnelles au Québec rencontrent. La discussion ressemblait beaucoup à d’autres que j’ (Gilles) ai pu avoir dans le passé au Québec lors des formations qu’on donne Pierre L’Heureux et moi. Nous avons pu partager avec eux nos expériences d’interventions en suggérant quelques façons d’intervenir en essayant de tenir compte de leur réalité locale et culturelle. Par exemple, quand tout le monde du village connaît la situation de violence grave qui survient dans un couple, il est possible que deux ou trois hommes du CMN rencontrent cet homme directement, abordent le problème avec lui et l’invitent à participer au groupe, surtout quand l’homme sait bien que tout le village est au courant de la situation. Cela peut s’inscrire dans la même ligne que le travail de porte à porte que fait le CMN. À cet endroit aussi, nous avons dîné avec le groupe dans une atmosphère très conviviale. Cela a été deux journées assez extraordinaires, des rencontres avec des gens engagés, qui ont à cœur le mieux-être de leurs collectivités. Cela nous a aussi mis en lien avec tout le sens collectiviste des sociétés sud-asiatiques. Pour ma part, j’ai (Jeanne_Mance) trouvé cela très enrichissant de constater que, du fin fond de la campagne cambodgienne, des hommes et des femmes sont préoccupés de la violence faite aux femmes. Ces deux journées nous donnent de l’espoir que les choses peuvent changer.
Le soir de notre retour, nous sommes allés souper au restaurant An Nam que nous avait suggéré, Bophia, la responsable du cours de cuisine vietnamienne que j’ (Jeanne-Mance) avais rencontrée à Ho Chi Minh City. Elle avait fait l’éloge de ce restaurant tenu par sa tante Jacqueline. Effectivement, la nourriture est très bonne, le service excellent et les propriétaires très sympathiques qui, en plus, parlent Français. Nous y sommes retournés à quelques reprises d’ailleurs….
Le lendemain, c’était la rencontre annuelle du CMN avec environ 80 participants. Une rencontre plus officielle avec discours du délégué du ministre de l’éducation et de la directrice générale du GAD/C, rapport annuel et plan d’action du CMN mais aussi, pour une bonne partie de la journée, un séminaire que j’ (Gilles) animais sur l’intervention auprès des hommes pour favoriser l’égalité et contrer la violence conjugale. Le défi était de taille : je devais produire le texte de base bien avant la rencontre pour qu’il soit traduit en Khmer, je n’avais pas d’idée précise du travail du CMN ni ne connaissais la culture cambodgienne lors de la rédaction du texte avant notre arrivée au Cambodge; de plus, le niveau était très variable parmi les participants, certains, surtout les plus jeunes, étaient plus scolarisés et souvent plus familiers avec le vocabulaire lié à l’intervention sociale alors que d’autres, de bons aidants naturels par ailleurs, partaient de plus loin. Par exemple, le mot « empathie » était nouveau pour plusieurs. Un intervenant du CMN m’avait dit que ma présentation aiderait à donner des repères théoriques à leurs interventions alors que pour d’autres, des outils d’écoute empathique auraient sans doute été plus adéquats. Enfin, je dois aussi dire que je devais présenter en Anglais et le tout était traduit au fur et à mesure en Khmer. Disons aussi que le Khmer est fort différent de l’Anglais, par exemple les choses ne sont jamais dites directement, mais elles sont plutôt circonscrites avant d’être abordées plus directement. Bref, cela représentait un défi de taille. Malgré tout, je crois bien que ma présentation a suscité beaucoup d’intérêt. Je retiens aussi comment on pouvait sentir l’engagement de tous ces hommes tout au long de la journée. Le travail du CMN est assez extraordinaire. Kimsore assume aussi un très bon leadership. Il était rayonnant quand il donnait le compte-rendu des activités réalisées au cours de l’année. Il est appuyé par une équipe de jeunes hommes et quelques jeunes femmes dynamiques et articulés, qui semblent avoir beaucoup de plaisir à travailler ensemble. Je (Jeanne-Mance) dois dire que sa conférence a eu un franc succès. Le lendemain matin, alors que j’allais à mon cours de cuisine cambodgienne, j’ai fait la rencontre d’une Coréenne. Elle parle de la conférence à laquelle elle a participé et qu’elle a beaucoup apprécié. Elle dit c’est un Canadien qui a une grande expérience en intervention auprès des hommes. Je lui demande s’il se nomme Gilles Tremblay. Vous comprendrez que je n’hésite aucunement à dire qu’il est « my husband ». J’étais fière de « mon » homme….
“Men who observe the moral precepts win the love and respect of their family and society”

Pendant que Gilles travaillait, j’ (Jeanne-Mance) fait quelques visites très intéressantes. D’abord le musée du génocide Tuol Sleng. Situé dans une ancienne école transformée en prison pendant le règne des Khmers rouges (Prison S-21), le musée témoigne de la torture et des conditions difficiles dans lesquelles hommes, femmes et enfants étaient soumis. Dans cette prison, les intellectuels, les commerçants et toute personne le moindrement suspectes s’y retrouvaient de même que leurs familles. Elles étaient torturées et devaient donner une liste d’au moins 15 personnes susceptibles d’être des « traites à la nation ». Puis ensuite, toutes ces personnes étaient transportées à l’extérieur de la ville dans ce qui est appelé les Killing Fields, pour y être exécutés. J’ (Gilles) ai visité le musée le lendemain et aussi ces champs où on a retrouvé de nombreuses fosses communes dans lesquelles étaient entassés des milliers de cadavres, souvent la tête arrachée. Le guide m’a rapporté qu’il y a eu plus de cent Killing Fields à travers le pays durent cette période sombre. Même les soldats qui en savaient trop étaient exécutés, ce qui d’ailleurs aurait, semble-t-il, provoqué la chute du régime et favorisé l’invasion par le Viêt Nam qui a suivi. Les journaux faisaient état du Tribunal des dirigeants Khmers rouges qui a lieu en ce moment près de Phnom Penh. Il semble qu’il n’est pas facile de recruter des témoins de ces années d’horreur. Bien sûr, plusieurs ont péri mais d’autres qui ont survécu ne veulent pas témoigner parce que le rappel de ces années est trop souffrant pour eux et elles. Notamment, une dame, citée dans le journal, disait qu’elle avait vu son frère et sa sœur mourir à la suite des tortures qui leur avaient été infligées. Elle refusait de témoigner parce que ce souvenir demeurait trop pénible pour elle. Aussi, les guides rapportent aussi que plusieurs personnes ne voulaient pas qu’il y ait un musée du génocide ou encore un mémorial des Killing Fields, et encore moins que des montagnes de crânes y soient exposés. Ces souvenirs sont trop lourds et les Cambodgiens et Cambodgiennes sont très pudiques et n’aiment pas afficher leurs émotions en public. Cependant, plusieurs de la jeune génération ont, semble-t-il, insisté pour faire connaître cette réalité aux jeunes et s’assurer que jamais cela ne se reproduise au Cambodge. Plusieurs jeunes avec qui j’ (Gilles) en ai parlé étaient très volubiles et on sentait un net engagement que cela ne se reproduise pas. On sent chez ces jeunes un désir de bâtir une société différente, ouverte sur le monde, et respectueuse des droits.
Puis j’ (Jeanne-Mance) ai visité le marché russe. Il y a deux marchés importants à Phnom Penh, soit le marché central et le marché russe. Si par manque de temps, vous avez le choix entre les deux, eh bien, je (Jeanne_Mance) vous conseille le marché russe. Les poulets avec les ailes coupées mais la tête bien en vie côtoient les poissons qui frétillent dans le bassin. Les légumes sont à coté des tissus, du linge, de la viande et des bijoux. C’est à voir! Le soir, j’ (Gilles) ai pu faire une entrevue avec deux jeunes hommes, des étudiants à l’université en anglais, ce qui m’a apporté aussi un autre son de cloche sur les réalités masculines au Cambodge.

Le lendemain, samedi, j’ (Jeanne-Mance) a passé la journée chez Channak, une intervenante du CMN. Lors de la visite dans le village Teuk, j’ai demandé à Channak où je pouvais suivre des cours de cuisine cambodgienne. Elle m’a répondu qu’elle n’en connaît pas. Bien simplement, je lui dis qu’elle-même pourrait me le montrer. Elle reste un peu surprise mais je pense que cela lui a fait énormément plaisir. Donc le samedi s’est déroulé dans sa famille, avec ses parents, ses grand-mères et des tantes son frère et sœur. Vraiment, je suis très contente d’avoir cuisimé avec la famille de Channak, dans une vraie cuisine cambodgienne..
Pendant ce temps, j’ (Gilles) ai visité le musée du génocide et les Killing Fields, et j’ai eu deux entrevues avec des Cambodgiens de retour au pays après avoir séjourné dans des pays industrialisés. C’était intéressant d’entendre leur point de vue sur la réalité des hommes au Cambodge. Venant aussi de d’autres pays (où on parle Français ce qui était aidant pour moi), leur vision de la politique au Cambodge est aussi plus critique.
Le dimanche, j’(Gilles) ai été invité par un participant à la rencontre annuelle du CMN, Ratanak Ou, à visiter l’organisme qu’il a fondé, le RHIYUM pour Reproductive Health Initiative for Young Urban Male. Un groupe d’une cinquantaine de jeunes d’une vingtaine d’années, soit environ 15 filles et 35 garçons, participaient à une fin de semaine de formation sur l’égalité et la prévention du VIH. Ce matin-là, ils discutaient sur les stéréotypes associés à la masculinité dans leur pays. Le lendemain, ils devaient avoir plus d’information sur la prévention du VIH et aussi visiter des personnes atteintes du SIDA. J’ai fait la tournée des locaux et rencontré quelques intervenants du centre, puis j’ai eu une bonne discussion avec Ratanak qui m’a parlé de leur approche, de son travail pour fonder cet organisme qui est soutenu par USAIDS (une ONG américaine pour la prévention du SIDA) et de ses liens avec les autres organismes dont le CMN, une clinique de santé qui s’adresse spécifiquement aux homosexuels et un hôpital qui accueille des personnes atteintes. Ratanak est un jeune homme, 24 ans seulement, qui m’a particulièrement impressionné. Jeune, mais très articulé, très au fait du dossier, et selon les exemples qu’il m’a donnés, il semble aussi être un très bon thérapeute, sans parler des perspectives de développement pour son organisme, son immense préoccupation pour les besoins des jeunes, des garçons en particulier, et un engagement profond sur le plan des questions liées au genre. Puis j’ai dîné avec le groupe de participants. Il s’agit pour la plupart d’universitaires, donc plusieurs parlent Anglais, du moins minimalement. Ils sont de diverses disciplines : tourisme, administration, sociologie, etc., mais tous s’intéressent à devenir des multiplicateurs, à travailler à changer les choses sur le plan des relations hommes-femmes, dans un esprit communautaire remarquable. Bref, cela a été une autre belle rencontre!
En après-midi, nous sommes allés au Marché central puis nous avons pris soin de nous, petit massage suivi d’une bonne bouffe.

Siem Reap
Nous voici le 31 décembre. Nous étions debout à 5h00 le matin, histoire de pouvoir appeler la famille Tremblay en party à Sherbrooke avant notre départ. Cependant, l’hôtel où nous logions coupait l’accès à Internet la nuit, ce qui nous a obligés à utiliser le téléphone mobile et donc à réduire considérablement la conversation. Il faut dire aussi que nous devions prendre le tuk-tuk à 6h00 pour être à l’heure au bateau. Dès 7h00 le matin, nous étions à bord du bateau pour nous rendre à Siem Reap. Le trajet devait prendre cinq heures environ en bateau rapide, mais en a pris finalement presque six. C’est un voyage un peu long car il n’y a pas vraiment de commodité à bord, sinon des bancs serrés les uns sur les autres et il faisait chaud. Tel que convenu au départ, un tuk-tuk nous attendait pour faire les 13 kilomètres qui séparent le quai d’arrivée à la ville. Tout au long du trajet nous avons vu des villages très pauvres, difficiles à décrire. Un type sympathique qui ne chargeait que 2$US pour le trajet mais nous invitait à le choisir pour nos besoins des autres journées, notamment pour aller à Angkor Wat qui est à sept kilomètres de la ville. Ainsi nous nous sommes retrouvés dans un nouvel hôtel dans un coin tranquille mais près du centre-ville à 18$US par nuit. Petite tournée au centre-ville et soirée à l’hôtel Riviera qui offrait un souper-spectacle pour la veille du jour de l’An. Le buffet était très garni, nous avons placoté un peu avec la nièce du propriétaire, une Coréenne sympathique. Nous avons donc « sauté » l’année avec des Cambodgiens, des Thaïlandais, des Japonais, des Chinois et quelques Occidentaux. Bien sûr, à 12h00, tout le monde se souhaite la bonne année comme cela se fait aussi chez nous avec en mains une belle flute de champagne. Il y a avait aussi de la danse après le spectacle. C’était amusant de voir les gens danser sur diverses chansons dont certains airs bien connus, mais avec des mouvements des mains et des pas qui s’approchent plus de l’Apsara, cette danse traditionnelle cambodgienne, tout en tournant en cercle. En passant, il semble que les Cambodgiennes commencent très tôt à presser leurs doigts et leurs mains vers l’arrière pour pouvoir ensuite danser l’Apsara avec toute la gracieuseté des mouvements que l’on connaît.
Le lendemain, après avoir appelé la famille Dallaire qui était en party à Sutton, nous sommes allés visiter Angkor Wat, ce célèbre site historique considéré comme l’une des merveilles du monde. En fait, il s’agit de plusieurs temples répartis sur 160 kilomètres carrés. Angkor était la capitale de l’ancienne cité impériale khmère ayant eu lieu entre le 9e et le 12e siècle avant Jésus-Christ (Cremer, 2007). Angkor signifie « Holly City » ou ville sainte. Le plus important temple est sans aucun doute le site d’Angkor Wat comme tel (début du 12e siècle AC), le premier que nous avons visité, avec ses trois pignons. Ce temple est demeuré le symbole du Cambodge depuis de nombreuses années. C’est fascinant de voir que ces ruines ont résisté à l’épreuve du temps. Puis nous avons visité Angkor Thom (fin du 12e siècle et début 13e AC), un temple moins prestigieux mais qui s’étend sur une plus grande surface (3 km²). Bayon (fin 12e siècle AC), reconnu pour ses immenses visages sculptés dans la pierre. Puis Ta Keo (fin 10e siècle début 11e AC) dédié à Shiva et enfin Ta Prohm (mi 12e siècle à début 13e AC), où des arbres gigantesques ont poussé sur les pierres. Nous avons fini la journée en admirant le coucher du soleil à partir d’un temple situé sur une montagne.

Le même matin, en sortant d’un site, nous sommes arrivés en face d’un petit orphelinat où nous sommes arrêtés. Nous étions surpris d’être accueillis par des enfants qui ne se débrouillaient pas si mal en anglais. Ils nous ont montré leur école - un simple abri avec des bancs et des tables usés et un vieux tableau blanc - le lieu où ils couchent, etc. Ils nous ont présenté leur enseignant volontaire, un jeune homme de 22 ans qui a été lui-même accueilli à l’orphelinat à l’âge de quatre ans alors que son père, puis sa mère sont décédés à la suite de l’éclatement de bombes, des vestiges de la guerre. Maintenant qu’il a complété son cours secondaire avec l’aide des moines, il redonne à l’orphelinat en étant lui-même enseignant volontaire pour les enfants. C’est lui qui leur enseigne l’Anglais et le Khmer de même que les mathématiques. Il enseigne ainsi à une cinquantaine d’orphelins et orphelines de divers âges dans cette classe-école que nous avions visité avec les enfants. Il dit qu’il a beaucoup appris l’Anglais par lui-même. Sa grand-mère âgée de 71 ans demeure aussi sur place. Cela nous mettait en contact direct avec une partie importante de la réalité du Cambodge : des jeunes qui vivent les conséquences des guerres successives, intelligents mais pauvres, et pour qui la grande pauvreté réduit considérablement les chances de s’en sortir.

J’ (Gilles) ai aussi l’occasion de faire une autre entrevue avec un chauffeur de tuk-tuk et de visiter Voluntary Confidential Counseling and Testing HIV Center (VCCT) où j’ai discuté avec Visith Nhok, le responsable du laboratoire mais surtout le seul qui parlait Anglais. J’espérais pouvoir avoir des références à des organismes communautaires. J’ai appris que cette clinique offre counseling et dépistage en matière d’ITS (infections transmises sexuellement) et de VIH. Environ 50% de la clientèle est masculine. Ils ont développé leur approche pour rejoindre des clientèles spécifiques, notamment les travailleurs et travailleuses du sexe de même que les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes (MSM), soit les deux principales cibles des programmes de prévention et de dépistage du VIH dans le Sud-est asiatique. Malgré une morale relativement conservatrice, ces sujets semblent être abordés assez aisément. En fait, comme dans bien des pays sous-développés, le tourisme apporte bien des retombées sur le plan économiques qui sont très appréciées par les communautés locales, mais aussi plusieurs jeunes femmes et jeunes hommes y voient des possibilités de revenus supplémentaires, autrement inaccessibles, notamment en offrant des faveurs sexuelles. J’en comprends que tout le monde le sait bien de telle sorte que le sujet devient plus facile à aborder par les intervenants, surtout dans les villes plus touristiques comme Sien Reap.

Notes sur la situation des hommes au Cambodge
Sans doute que, comparativement aux autres pays de l’Asie du sud-est, le contact avec le Cambodian Men’s Network en particulier nous a offert un avantage certain pour discuter de la réalité des hommes dans ce pays. Cela demeure néanmoins une vue partielle, limitée, à partir de ce que nous avons retenu de notre contact avec ce pays qui n’a duré que 11 jours. Par ailleurs, nous avons eu ici un contact plus intense avec des hommes des villages et non seulement en ville. J’ (Gilles) ai aussi interrogé, outre trois organismes intervenant auprès des hommes, six hommes qui m’ont parlé de leur réalité.
Rappelons que le pays n’a été complètement pacifié qu’en 1999 et qu’une part importante de la génération de plus de 30 ans a été éliminée au cours du génocide et des conséquences des guerres (mines et bombes non explosées). De plus, le taux de natalité demeure élevé. Cela donne un peuple avec une courbe démographique démontrant nettement une forte proportion de jeunes. Plusieurs jeunes, d’ailleurs, se mobilisent pour créer une société plus ouverte et plus respectueuse des droits.
Selon les gens que nous avons rencontrés, la tradition au Cambodge favorise nettement une société patriarcale. Ainsi, dans ce modèle, l’homme a toujours préséance sur la femme qui doit s’ajuster à son mari. Habituellement, un homme choisit une femme plus jeune que lui, comme une façon de noter qu’il est de statut supérieur. Elle ne peut avoir un revenu plus élevé ou encore occuper des fonctions supérieures à celle de son conjoint. Il n’y a pas comme tel de mariage arrangé, du moins en principe. Cependant, les parents font parfois (souvent?) pression pour que leur fille marie tel homme en particulier. Par exemple, un jeune homme rencontré racontait qu’il ne peut épouser celle qu’il aime car les parents de celle-ci désirent qu’elle marie un étranger (on comprend qu’il s’agit là aussi d’un moyen d’obtenir une certaine sécurité financière pour les parents). Un autre me racontait que c’est sa belle-mère qu’il connaissait déjà qui a obligé sa fille à le marier. D’autres rapportaient aussi qu’il leur était impossible pour l’instant de se marier car il leur faut minimalement 5000$US pour le mariage comme tel sans compte les sous qu’ils doivent donner à leurs beaux-parents. Il n’y a pas de dot comme tel, mais ce sont les hommes qui doivent fournir des sous aux beaux-parents chez qui ils iront vivre après le mariage.
Plusieurs ont rapporté que souvent les femmes travaillent plus que les hommes, ceux-ci étant, selon le modèle plus traditionnel, plutôt absents des tâches ménagères et des soins aux enfants. Certains hommes, le soir, préfèreraient se retrouver entre amis, prendre un verre (et plus…), aller au karaoké, et y rencontrer des prostituées (une partie de « bang-bang », selon l’expression de certains). Un homme m’a parlé que certains hommes qui ont plus d’argent entretiennent deux et parfois trois et même quatre femmes, même si la polygamie est interdite. En fait, cela correspond à ce que rapportait Harris (2007) pour les hommes vietnamiens. Il n’est donc pas surprenant que, dans ce modèle traditionnel, la violence envers la conjointe soit une problématique importante. Après avoir connu plusieurs années de guerre, le sens de la vie demeure parfois limité de telle sorte que la violence peut se transformer de manière plus grave encore en tuant son conjoint ou sa conjointe, ou encore en se vengeant durement en laissant des traces indélébiles comme l’acide lancé au visage tel que rapporté notamment par les journaux au moment de notre passage.
Par ailleurs, à l’opposé, on retrouve aussi des hommes qui ne fonctionnent pas selon ce modèle. On a qu’à penser aux hommes rencontrés sur la rue avec leurs jeunes enfants qui semblaient très à l’aise et avoir un bon lien avec eux, et on en a vus plusieurs. Mais surtout, il y a des hommes, et en grand nombre si on pense au Cambodian Men’s Network avec plus de 1000 membres, qui veulent que les choses changent et qui se mobilisent à cet effet. Le sens collectiviste de cette société est ainsi mis œuvre pour atteindre cet objectif d’égalité des genres et de respect des droits des personnes.
Sans doute nos sociétés occidentales sont plus avancées sur le plan conceptuel en matière de travail auprès des hommes, cependant, dans la pratique du travail terrain auprès des communautés locales, nous avons beaucoup à apprendre d’organismes comme le Cambodian Men’s Network (CMN) et le Reproductive Health Initiative for Young Urban Male (RHIYUM).
Enfin, juste un petit mot pour dire que les kois, l’équivalent des katois au Laos, sont, semble-t-il, la proie du sarcasme des autres hommes et donc peu appréciés ici contrairement au pays voisin.

Il nous reste à remercier des gens extraordinaires qui ont rendu cette partie de notre voyage des plus intéressantes. Merci à Kimsore Chhay pour l’invitation, bravo pour ce travail extraordinaire. Merci à toute l’équipe du Cambodian Men’s Network, en particulier à Bunthan qui nous a accompagné pendant deux jours, aux groupes du Teuk Hot Village et du Kandeung Meas Village, à Channak et sa famille, à Ratanak Ou et son équipe du Reproductive Health Initiative for Young Urban Male, à Visith Nhok du Voluntary Confidential Counseling and Testing HIV Center (VCCT). Merci enfin aux six hommes interrogés dont je dois taire l’identité.

Références
Chhay, K.S. (2007). Engaging Men to End Men’s Violence Against Women: A Cambodian Case. Papier présenté lors de la Regional conference on Men as Partners to End Violence Against Women, 3-4 septembre 2007, Bangkok.
Chhay, K.S. (2007). Engaging Men to End Men’s Violence Against Women: A Cambodian Case.Papier présenté pour Technical Consultation on Engaging Men and Boys in SRH, GBV Prevention, Fatherhood ans MNCH, 29 novembre au 7 décembre 2007, Slaszbourg, Autriche.
Kremer, K. (2007/2008). The Siem Reap Angkor Visitor Guide. Ministry of Information. Phnom Penh: Candy Publications.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Gilles....quels seront tes défis revenut au P Q!!!!!!..Bravo...J M sur les photos tu est très souriante...je te reconnait avec ton coté social...Bravo...
Bise a vous 2 lyse et bobxxxxxxx..;

Anonyme a dit…

Les exposés sur vos expériences et constats sont toujours aussi pertinents et révèlent une fois de plus votre profond engagement.

Les photos où on peut vous voir ensemble sont aussi très révélatrices et assurément, vos sourires témoignent de la joie que vous procure cette aventure.

Bravo et continuez de "tripper".

Dodo a dit…

Bonjour vous deux,
Je vous lis en dégustant ma p'tite bière!!!
Comme je vous trouve beaux et intéressants.
Continuez d'enrichir ma vie et de profitez de la vie.