jeudi 1 mai 2008

24e envoi : Le Maroc vu de l'intérieur

24e envoi : Le Maroc vu de l’intérieur
Données générales sur le Maroc

Après la Turquie, nous voilà dans un deuxième pays dont la forte majorité de la population est musulmane. C’est le 12e pays de notre périple. Nous sommes arrivés à la mi-mars et nous y sommes restés quatre semaines. Il s’agit d’une bonne période pour visiter le Maroc, juste avant la grande saison touristique qui commençait à peine et aussi avant l’été très chaud ici. On nous dit que dans le sud, la chaleur peut atteindre 50°C et même plus. Un peu trop chaud pour nous qui sommes habitués à l’hiver québécois. Au cours de notre séjour, les températures les plus élevées n’ont guère dépassé les 30°C et nous avons connu quelques jours plutôt frais dans les villes côtières de Rabat et Casablanca avec des températures de 12° à 15°C.

Le Maroc, rappelons-le, est situé tout au nord du continent africain complètement à l’ouest. Il est bordé au nord par la Méditerranée et à l’ouest par l’Atlantique. À partir du détroit de Gibraltar, l’Espagne n’est qu’à quelques kilomètres. Ainsi, le Maroc a servi de voir de passage de la route de l’Europe vers l’Afrique. Il est traversé par une grande chaîne de montagnes, l’Atlas qui est subdivisé entre le Grand Atlas (à l’ouest) et le Petit Atlas (à l’est). Dans la partie sud, c’est le désert avec ses vastes étendues de sables, les dunes et les nomades.

La majorité de la population est d’origine Arabe. Environ 30 % sont des Berbères. Le reste de la population est très diversifié : Touaregs, Saharis, Bédouins, Juifs, mais aussi des Européens qui viennent s’établir au Maroc une fois à la retraite pour profiter de la température clémente, du coût de la vie qui est plus bas qu’en Europe, des ententes entre la France et le Maroc qui favorisent les abris fiscaux et en plus, il est facile d’être rapidement de retour au pays pour visiter les siens.

Le Français est enseigné dès le primaire et constitue la deuxième langue pour les Arabes et la troisième pour les Berbères, ce qui a facilité considérablement les communications, quoique nous nous sommes retrouvés à quelques endroits avec des gens qui ne parlaient ni Français, ni Anglais.
Rabat

Nous avons chois d’intituler cet envoi Le Maroc vu de l’intérieur parce que nous avons eu la chance, l’opportunité, le privilège de vivre dans une famille marocaine pendant presqu’un mois, chez Mohamed, Fatna, sa conjointe enceinte de quatre mois et la petite Aya de 16 mois. Une enfant adorable, charmante, qui a rapidement appris à nous appeler « Zil » (Gilles) et « tata » (tantine) pour Jeanne-Mance Ce sont les contacts avec Mohamed Malchouch qui nous a amenés au Maroc. J’ (Gilles) avais connu Mohamed il y a trois ans au colloque de l’American Men’s Studies Association où il avait fait une présentation sur la masculinité dans l’Islam. Mohamed a changé d’emploi depuis et il est maintenant responsable de la bibliothèque du Centre culturel saoudien établi à Rabat. Lorsque nous l’avions contacté pour planifier notre séjour, il a simplement répondu de ne pas s’en faire, que nous organiserions le tout lors de notre arrivée et du même souffle, il nous invitait à demeurer chez lui le temps où nous serions à Rabat. Ainsi, nous avons pu côtoyer de très près la culture marocaine dans plusieurs de ses aspects : les relations homme-femmes, l’éducation des enfants, les relations parents-enfants, les liens familiaux et bien sûr, la cuisine marocaine (tajine, couscous, desserts). C’était super-chouette. Nous ne prétendons tout connaître à partir d’une famille. Nous avons rencontré d’autres familles marocaines qui ont adopté, à certains égards, des styles de vie légèrement différents. Notre séjour dans ces familles nous fait voir, encore une fois, qu’il est difficile d’affirmer que le Maroc est homogène. Il existe beaucoup de différences entre les diverses régions, entre la ville et la campagne, et entre les groupes ethniques.


Dans la culture marocaine, le fait d’avoir des invités dans la maison porte chance. Alors, facilement on peut s’imaginer quel sort nous était réservé. Ainsi, Fatna et Mohamed ne voulaient en aucun cas que nous nous impliquions dans le partage des repas et des tâches. De même que, dans la culture marocaine, il revenait à Mohamed de payer pour tout (taxi, autobus, repas au restaurant, etc.). Au tout début, j’ (Jeanne-Mance) offrais mon aide, ne serait-ce que pour éplucher les légumes, mais Fatna refusait. Pour nous, même si nous savions le sens pour eux, ce fût un peu difficile, car notre culture québécoise est assez différente, en tout cas pour nous qui avons l’habitude recevoir des amis et que tout le monde participe à la préparation des repas. Nous avons compris ce que voulait dire respecter nos cultures, ne pas brusquer les personnes et les événements. Un après-midi, j’ (Jeanne-Mance) étais assise dans le salon réfléchissant sur le choc des cultures et surtout comment développer une zone de confort dans cette famille autant pour eux que pour nous puisque nous y serions assez longtemps. Du coup, je me suis levée, me suis présentée dans la cuisine où Fatna épluchait des carottes. Je lui dis que je suis capable d’éplucher des légumes et que je voudrais vraiment qu’elle accepte que je l’aide. Elle a acquiescé et à partir de ce moment nous avons pu instaurer une ambiance satisfaisante pour elle et moi. Petit à petit, nous avons travaillé ensemble à changer Aya de couche, laver la vaisselle, préparer les repas, etc. C’était le début de notre complicité à toute les deux. Un vendredi soir, alors que les Mohamed et Gilles étaient à la noce, nous avons fait le ménage de la maison : laver les planchers, la salle de bain, la cuisine etc. Fatna a enlevé son voile (en l’absence des hommes). C’est fou ce que la communication dépasse la barrière de la langue. Nous sentions entre nous deux une grande connivence. Un regard, un sourire, un « échange de torchons », nous en disaient long sur ce que nous allions développer ensemble. La situation a été semblable avec Mohamed avec qui j’ (Gilles) ai « négocié » de pouvoir partager certains frais que nous encourions pour la famille et aussi leur acheter un cadeau en guise de remerciement (cela n’est pas la coutume au Maroc). Ainsi nous avons réussi à aménager des zones de confort qui nous permettaient mutuellement d’apprendre de l’autre culture tout en se respectant et respectant l’autre. Bien sûr, nous étions là pour apprendre sur la culture marocaine et il n’était pas question d’imposer notre culture. Bien au contraire, cela nous a permis de mieux apprécier cette chaleureuse culture. Maintenant, on peut dire sans aucun doute que nous avons des amis au Maroc. D’ailleurs, quand nous sommes partis, Fatna a voulu avoir mon (Jeanne-Mance) courriel en plus de celui de Gilles que Mohamed avait déjà. Nous espérons juste une chose; revoir cette petite famille un jour qui, au mois d’août, sera augmenté d’un petit bébé.


Vivre dans une famille marocaine, c’est non seulement apprécier sa grande hospitalité et le plaisir d’être avec elle, mais aussi s’intégrer dans le réseau familial. Ainsi, les parents de Mohammed sont venus de Casablanca pour prendre un repas avec nous mais aussi d’autres amis et parents ont circulé, notamment la famille qui occupe le logement au-dessus de celui de Mohamed et Fatna, Hafida, son mari, leurs deux filles et leur fils Amine. Nous nous sommes bien amusés avec tout ce beau monde. Cette première semaine au Maroc a été aussi pour moi (Gilles) l’occasion de préparer mon texte pour le congrès de l’ACFAS.


Le week end, nous avons été invités au mariage de la collaboratrice de Mohamed. La fête s’est déroulée en deux temps, celle des hommes le vendredi soir et celle des femmes le samedi après-midi. Mohamed et Fatna nous avaient prêté des vêtements pour l’occasion. Nous étions d’un chic fou ! Pour les hommes, c’est la djellaba qui est à l’honneur et pour les femmes une superbe gandoura plein de broderies. La fête des hommes est plus réservée que celle des femmes. Les femmes dansent et s’amusent alors que les hommes discutent et écoutent des chants. Tout au long de la fête, du thé de même que des pâtisseries de toutes sortes circulent. Puis c’est le tour des mets chauds. C’était délicieux. Fait un peu cocasse chez les hommes, lors de l’arrivée des repas chauds, les hommes ont été déplacés pour les regrouper. Je (Gilles) me suis donc retrouvé à une autre table que celle de Mohamed. Le groupe de chanteurs a cessé sa musique pour se joindre au repas, ce qui laissait plus de place à la conversation. J’étais attablé avec un groupe de cousins qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps, certains demeurent d’ailleurs à l’extérieur du Maroc. Tout se passe en Arabe, je ne comprends rien et j’observe. Cependant le groupe se met à se conter plein d’histoires cocasses et à rire à grands éclats… sauf moi qui ne comprenais rien. Jusque là, personne ne se doutait que je n’étais pas Marocain. Mais là, devant mon mutisme, ils se sont mis à se demander si leurs « jokes » me choquaient. J’ai bien senti à un moment donné qu’ils parlaient probablement de moi. Enfin, l’un d’entre eux m’a demandé si je parlais Arabe et là tous ont bien ri et ils étaient bien soulagés que je ne sois pas choqué de leurs histoires…Pour la célébration avec les femmes, c’est un peu différent. Les femmes, effectivement, dansent sous les sons de musique joués par des musiciennes et elles chantent. Malheureusement, nous avons dû partir sans avoir la chance de goûter aux plats chauds. Cependant, j’ai pu apprécier les pâtisseries. À chaque fois que l’on nous passait une gâterie, je n’hésitais pas à la manger mais je remarquais que les autres femmes les mettaient dans une serviette de table. Après 5-6 « sweets », j’ai demandé à ma voisine pourquoi elle ne mangeait pas la pâtisserie en question. Elle m’a répondu qu’elle les apportait à son fils, une autre pour son mari et une troisième pour sa petite fille. J’étais bien contente car j’avais peur d’avoir fait une bévue aux coutumes marocaines. Pour ma part, je n’ai rien gardé pour Gilles, gourmande comme je suis ! Il faut dire que je (Gilles) m’étais sucré le bec considérablement la veille…

Sans le savoir auparavant, nous sommes arrivés juste à temps pour une fête importante chez les Musulmans qui faisait en sorte que Mohamed était en congé le jeudi et le vendredi. Ce qui nous a permis de faire plus de choses ensemble. Cette fête coïncide au Jeudi saint et donc la fin de semaine de Pâques pour les Chrétiens. Nous avons pris avec eux, le transport public, le grand taxi et le petit taxi. Nous sommes notamment allés à Salé, la ville jumelle de Rabat.

Comme moyens de transport, nous avons utilisé l’autobus, le petit et le grand taxi. Les petits taxis ne sont autorisés que pour couvrir une partie de la ville selon la couleur du taxi. Quand aux grands taxis, nous montons six à l’intérieur et nous pouvons le signaler sur la rue. Ce qui veut dire que nous sommes quatre passagers en arrière, et deux en avant sans compter le chauffeur.
Marrakesh

Nous ne pouvions aller au Maroc sans passer par Marrakech, cette ancienne cité impériale, connue à travers le monde. On l’appelle la Cité rouge parce que tous les murs des maisons sont peints de couleur ocre. Une loi interdit toute autre couleur. Alors que la population de Rabat et de Casablanca est largement Arabe, celle de Marrakech comporte une large proportion de Berbères. Nous logions au cœur de la Médina (c’est le nom donnée aux anciennes villes impériales fortifiées – c’est un peu comme à l’intérieur des murs du vieux Québec), dans un riad. Les riads sont des anciennes maisons traditionnelles marocaines transformées en gîte. Habituellement, les chambres sont disposées tout autour d’une cour intérieure centrale où se trouve une petite fontaine. Il n’y a aucune fenêtre extérieure, les fenêtres des chambres tombent sur la cour intérieure. Souvent la cour intérieure est en mosaïque de céramique habituellement d’un bleu marocain s’approchant du bleu royal. Ce sont des maisons plutôt coquettes. Les chambres ont souvent un coin salon avec des sofas comme on trouve dans les maisons marocaines, sofas qui se transforment en lit la nuit venue.

L’attraction centrale est sans aucun doute la grande place qui s’appelle la Place Jamaa El Fna. Le soir, on y retrouve des amuseurs publics aussi bien que des gens, des hommes surtout, qui vendent plein de petites choses. Souvent ils commencent à étaler leurs produits (montres, sous-vêtements, ceintures, t-shirts, etc.) sur un tapis ou un tissu quelconque vers les 21h00 et parfois même plus tard. Les principaux restaurants ont tous une façade donnant directement sur la place. Juste à côté se trouve le souk, un très grand souk. Disons au passage que la négociation est tout un art au Maroc. Tout ce qui se vend, incluant les services comme le taxi, se négocie. Habituellement, on nous donne un prix relativement élevé, surtout pour les touristes, prix qui est parfois même supérieur à ce qu’on pourrait payer chez nous pour quelque chose d’équivalent, puis il y a négociation. Généralement, on peut obtenir le produit pour la moitié du prix annoncé ou même moins que cela, selon le produit. Il nous est arrivé de négocier pendant presque trois quart d’heure et ceci dans une atmosphère de convivialité. Disons que plus la ville est touristique, plus les prix de départ sont élevés. Pour nous, Occidentaux, qui sommes peu habitués à ce petit jeu, cela est parfois exténuant, mais c’est la règle au Maroc, tout se négocie.

Nous avons pris une journée pour visiter à pied les principaux centres d’intérêt de la ville après s’être rendus au centre d’information touristique. D’abord, le Jardin El Harti, très joli et le Cyberparc Arset moulay Abdessalam où on retrouve des ordinateurs en plein air pour donner de l’information touristique. Nous sommes arrêtés à la célèbre Koutoubia, une mosquée avec son minaret de 70m de haut qui fait la fierté des Marrakchis et les Tombeaux Saadiens qui abritent les tombes de marbre des anciens rois saâdiens et leurs familles. Ces tombeaux datent du XVIe siècle. Enfin, nous avons visité les ruines du Palais El Badi, construit entre 1568 et 1604 qui représentent bien l’art islamique de l’époque. Du haut des fortifications, nous avons une magnifique vue de Marrakech.

Épuisante cette ville. Les marocains disent « Marakech, Arnakech ». Effectivement, il faut être très vigilant pour ne pas se faire arnaquer. Et malgré cela, on s’est fait avoir à quelques reprises entre autre par l’achat de bijoux soi-disant en argent alors que dans les faits, il s’est avéré comme étant du toc.

C’est aussi à Marrakech que nous avons essayé les hammams marocains. À certains égards, ils ressemblent beaucoup à ceux de la Turquie. Notamment il y a toujours une section pour les hommes et une autre pour les femmes. Les femmes sont souvent nues entre elles ou en petites culottes alors que la nudité est proscrite chez les hommes. Tous les hommes sont en petites culottes ou boxers. Généralement, on retrouve trois salles allant du moins au plus chaud. Chaque personne a son sceau, son savon et son gant de crin. Le masseur pour les hommes, la masseuse pour les femmes, applique d’abord le savon noir, puis nous rince à grande eau, puis c’est le tour du gant de crin, avec rinçage à nouveau et enfin le massage au savon, massage plutôt vigoureux et enfin un dernier rinçage. Une fois, le masseur était plutôt costaud, certainement plus de 100 kilos, et une partie du massage se déroulait avec ses pieds, avec tout son poids sur moi ! Plusieurs hommes en profitent pour se raser la barbe, et les jeunes hommes se rasent aussi les aisselles. Les parents viennent avec leurs enfants et leur donne un gommage et un massage au savon.
La V
allée d’Ourika

Pendant que Gilles travaillait sur un rapport de recherche, j’ai pris un tour pour visiter la Vallée d’Ourika. Que dire de cette visite? D’abord trois heures de route pour arriver au village en question. On ne nous avait pas dit que nous devions retenir les services d’un guide sur place pour visiter les chutes qui sont les seules attractions de cette activité. Bien sûr, nous avions le choix de dire oui ou non à ce guide. Mais peut-on imaginer partir seule en montagne pour voir ces chutes ? Alors notre groupe, plus ou moins 12 personnes, a décidé de payer pour le guide. On ne nous avait pas dit non plus qu’il fallait grimper une montagne escarpée, ce qui relevait plus d’une expédition que d’une balade en montagne. Je n’étais pas préparée à ce genre de « sport extrême » pour moi. Après 40 minutes, nous arrivons à la première chute. Un petit temps d’arrêt et le guide nous invite à repartir pour voir les quatre autres chutes. Alors là, nous devons grimper littéralement une façade d’un rocher à la verticale. Je regarde le guide s’accrocher à la paroi et je me dis : « Non, je ne serai jamais capable ». Une anglaise, probablement du même âge que moi, dit la même chose. Alors nous nous regardons et du même coup, on s’entend pour redescendre. Redescendre est encore plus difficile que de monter la montagne. On se rassure l’une et l’autre; de toute façon, nous n’avions pas le choix, il fallait revenir au village. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés environ une douzaine de personnes à descendre la montagne sans avoir vu les quatre autres chutes. Tout le monde s’aidait en se donnant la main. Beau moment de solidarité ! Comme on dit au Québec, pour la Vallée d’Ourika, on repassera !
Moulay Yacoub, Fes
, Volubilis Chefchouen et Tetouan

Après Marrakech, nous sommes revenus en train vers Rabat. C’était émouvant d’arriver chez Mohammed et Fatna, de prendre du temps aussi avec les voisins. On nous considérait comme des membres de la famille. C’était comme si nous revenions chez nous, c’était comme la fête. Aya nous a reconnus et apparemment, pendant la semaine, elle nous cherchait en disant « Zil », « tata ». Les voisins sont venus également partager un dessert. Ce fut un moment très touchant de sentir cette générosité sans bornes.

Le lendemain, nous avons participé à un dîner au Centre culturel saoudien, puis nous sommes partis pour la fin de semaine avec Mohamed, Fatna et Aya. Mohamed voulait nous faire connaître une région qu’il aime bien et aussi ajouter à notre connaissance du Maroc. Nous avons donc loué une voiture pour nous rendre dans la région de Fes. Cette région est habitée par un des trois principaux groupes de Berbères du Maroc, les Zayanis. Fes est cette ville qui fête actuellement ses 1200 ans. On est loin du 400e de la ville de Québec, n’est-ce pas ?

Nous nous sommes d’abord rendus à la source d’eau minérale de Sidi Harazem, puis vers Moulay Yacoub, un petit village pittoresque à une quinzaine de kilomètres de Fes bien connu pour ses sources thermales. Le village est construit à flan de montagne, les rues du centre-ville sont étroites et accessibles uniquement à pied ou à dos d’âne. Au cœur même du village, se trouve la source thermale qui a été aménagée en deux piscines, l’une pour les femmes et l’autre pour les hommes. L’eau est chaude et relaxante. Évidemment, nous ne pouvions passer à côté des bains d’eau thermale dont l’eau est à 90 degrés. Du côté des femmes, Fatna, Aya et moi trouvions que c’était un peu trop chaud. Comme Fatna était enceinte de quatre mois, elle s’est montrée très prudente. Du côté des hommes, l’eau était un peu moins chaude mais c’était aussi agréable d’aller à la source où l’eau était plus chaude. Les hommes jouent dans l’eau comme des gamins. Nous logions dans un petit studio. Tout au long du voyage, Mohamed et Fatna s’occupaient de négocier les prix, alors que nous demeurions en retrait, histoire d’obtenir les prix marocains et non les prix pour les touristes.

Le lendemain, promenade dans la ville pittoresque de Fes. Nous sommes passés devant la porte de la première université des temps modernes au monde construite en 850 et qui d’ailleurs a été créée par une femme. Malheureusement, nous ne pouvions pas entrer à l’intérieur car on doit passer par la mosquée pour y aller et les mosquées au Maroc ne sont pas ouvertes au public. Nous nous sommes promenés dans le souk. La médina est construite à flan de montagne. Plusieurs édifices datent de plusieurs centenaires.

Puis, en fin d’après-midi, nous sommes partis vers Chefchouen. En cours de route, nous sommes arrêtés quelques minutes pour découvrir Volubilis, cette ancienne cité romaine qui date du 3e siècle avant Jésus-Christ. Quelle surprise de voir cette ville immense pour l’époque et plusieurs vestiges de cette cité sont incroyablement bien conservés ! C’est assez impressionnant de voir des mosaïques bien conservées qui datent de quelques siècles avant Jésus Christ. Le coucher de soleil sur ces ruines était vraiment superbe mais malheureusement les batteries de la caméra de Jeanne-Mance étaient à plat et celle de Gilles faisait défaut.

Puis nous voilà dans le Rif, une région montagneuse berbère qui, jadis, était colonisée par l’Espagne. Ici les habitants, les Rifiens, parlent le Berbère, l’Arabe comme deuxième langue et souvent l’Espagnol comme troisième langue ; peu de personnes parlent Français ou Anglais. Notre destination : Chefchouen, un autre village pittoresque en flan de montagne. Ici les femmes lavent le linge à la rivière (un oued, comme on dit ici) avec une planche à laver. Ces villages typiques présentent une bonne image de la situation paradoxale du Maroc. À divers égards, dans plusieurs maisons, la population vit encore à une époque très ancienne (cuisines peu aménagées, linge lavé à la rivière, plusieurs maisons sans eau courante, etc.) alors qu’on retrouve par ailleurs un coupole sur le toit de maison donnant accès à des postes de télévision d’un peu partout dans le monde, tout le monde se promène avec son téléphone cellulaire et quelques maisons plus loin il y a un cyber café avec Internet haute vitesse. Quel paradoxe!

Enfin, nous sommes arrêtés à Tetouan au retour pour y prendre le repas du midi et visiter le souk. Mohamed et Fatna en ont profité pour saluer une de leurs amies au passage pendant que nous nous occupions de la petite Aya.

Puis ce fût le retour à Rabat pour y prendre des choses et un départ immédiat pour Casablanca après quelques minutes pour dire adieu aux voisins que nous savions que nous ne reverrions pas. Le passage à Casablanca était rapide puisque nous partions tôt le lendemain matin. Nous avons dormi chez la sœur de Fatna, Leila. En fait, cela a permis de rencontrer les parents de Mohamed une autre fois alors que nous étions invités pour le repas du soir. Nous avons aussi rencontré un couple d’amis de Mohamed et Fatna dont la famille nous invitait à passer par Agadir.
Agadir

Après 10 heures d’autobus, nous sommes enfin arrivés à Agadir. Nous n’avions pas prévu nous rendre à Agadir au départ. Quelques personnes nous avaient dit qu’il s’agit d’une ville touristique sans intérêt, sinon la plage. Il faut dire que cette ville a été complètement détruite par un tremblement de terre en 1963 et reconstruite pour en faire une station balnéaire. Mais Mohamed, Fatna et leurs amis, Souad et Mehfoud, nous ont convaincus d’y aller pour rencontrer les Essajdani, la famille de Souad qui nous invitait. Cela nous permettait aussi d’entrer en contact avec des Berbères. Agadir, de même que Ouarzazate dont nous parlerons plus tard, font partie de la région du Sousse où se retrouvent les Chelouches, le plus grand groupe de Berbères du Maroc.

Brahim, le frère de Souad, en congé ce jour-là, est venu nous chercher à la gare d’autobus. Puis nous avons connu les autres membres de la famille dont Ahmed, le père et Fatima, la mère, Malika. Ils sont originaires de la région de Ouarzazate où plusieurs membres de leurs familles demeurent. À plusieurs occasions, Brahim a servi de traducteur, de même que sa nièce, Hasna, mais nous arrivions quand même tant bien que mal à communiquer avec la famille dont la langue d’usage est le Berbère. Cette famille nous a accueillis pendant deux jours avec toute sa générosité et son hospitalité marocaines. Brahim nous a amenés visiter différents secteurs de la ville : bien sûr, la plage puisqu’Agadir est une station balnéaire prisée des Européens et Européennes, le petit jardin zoologique, le souk, la coopérative d’artisanat où travaille son père, etc. Les parents, Ahmed et Fatima nous ont présenté des photos de leurs autres enfants de même que de leurs familles respectives. Fatima nous a gâtés avec son excellente cuisine. Bref, un séjour très agréable qui nous a plongés au cœur même de la vie quotidienne d’une famille berbère, donc une rencontre qui valait le détour.
Ouarzazate et le désert

Vous avez déjà eu un petit aperçu à partir des photos du désert. Voici donc la suite. Nous avons repris l’autobus pour un autre long trajet de 10 heures qui nous a menés à Ouarzazate. Nous voulions faire une expédition dans le désert du Sahara et aller à la rencontre des « hommes bleus ». À notre arrivée, deux jeunes hommes très convaincants, beaux comme des dieux, nés avec le sable dans les yeux comme ils disent, Elmaroub et Abdul, nous ont proposé un hôtel à bon prix et un projet de séjour dans le désert. Compte tenu que nous avions magasiné sur Internet et que les prix proposés étaient adéquats, nous avons choisi cette entreprise. Maroub et Abdul ont été en quelque sorte nos premiers contacts avec les hommes du désert. Nous avons pris le repas du soir avec eux pendant qu’ils nous parlaient d’eux, de leurs familles et du désert, avec beaucoup d’intensité.

Le lendemain, nous voilà donc partis pour trois jours dans le désert avec Mohamed, notre chauffeur attitré. Au cours de la première journée, nous sommes passés par la Vallée du Drâa, en arpentant les routes sinueuses du Petit Atlas, avec des paysages à couper le souffle. C’était particulièrement beau de voir la palmeraie au pied de ces montagnes arides. Puis en fin d’après-midi, nous sommes arrivés à M’Hamid, le dernier village avant le désert, pour faire les derniers kilomètres à dos de dromadaires pour nous rendre au bivouac dans les Dunes de l’Erg Lyoudi. Le lendemain, nous sommes partis vers les Dunes de Chigaga en passant par l’Oasis sacré. Ce deuxième bivouac se trouve à une soixantaine de kilomètres de M’Hamid, et environ la même distance de la frontière de l’Algérie. Lorsque nous y sommes, on a l’impression d’être au beau milieu du désert. Nous n’étions que deux couples de visiteurs au bivouac – l’autre couple venait d’Espagne, ce qui a permis des échanges très riches avec les gars qui travaillent sur place, de jeunes hommes Touaregs, Saharis, Berbères et Arabes. Il est impressionnant de voir comment ces hommes, nés dans le désert, qui n’ont qu’une idée approximative de leur âge, qui n’ont jamais mis les pieds dans une école, mais en même temps ils sont capables de parler plusieurs langues : Berbère, Asouri (la langue des Touaregs), Arabe, Anglais, Français, Espagnol, Italien. Incroyable ! La plupart de leurs familles sont maintenant établies à M’Hamid ou dans les villages environnants. En fait, la sécheresse qui perdure depuis quelques années a amené bien des familles Berbères qui vivaient en nomades dans le désert à devenir sédentaires parce que les sources d’alimentation des animaux (chèvres, moutons, poules) sont maintenant taries. Nous avons aperçu quelques campements de familles Touaregs, mais elles sont maintenant beaucoup plus rares, nous a-t-on dit. Les deux bivouacs étaient construits un peu comme les familles Berbères s’établissaient à l’époque puisque leurs campements duraient quelques années jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de quoi nourrir les animaux sur place, puis ensuite le campement était installé proche d’un autre oasis, et ainsi de suite.

Le lendemain, nous sommes revenus à Ouarzazate en prenant un autre chemin le long de la Vallée du Drâa. Nous avons pris une bonne journée de repos et de travail administratif avant de prendre l’avion très tôt le lendemain pour revenir à Casablanca. Cependant, nous n’avions pas suffisamment « goûté » au désert. Nous avons décidé de revenir quelques jours plus tard pour un deuxième séjour mais cette fois en restant sur place au même bivouac et ainsi avoir plus de temps pour échanger avec les hommes qui y travaillent tout en « vivant » un peu plus dans le désert. C’est aussi à cette occasion que nous avons connu une tempête de sable qui nous a rappelé les tempêtes de neige du Québec. Nous étions impressionnés par notre chauffeur qui a réussi sans trop d’effort à trouver la route vers le campement alors que la visibilité était très médiocre et que les dunes avaient changé considérablement de forme avec les vents. Sur place, nous avons aussi eu beaucoup de plaisir à échanger avec Ludovic et Cécile, établis au bivouac depuis un mois déjà, ainsi que leurs mamans, Michèle et Inge, qui étaient venues les visiter, de même que Alain, un Français qui s’est bien intégré à notre groupe.





Casablanca

Casablanca a été la dernière ville que nous avons visitée. C’est la plus grande ville du Maroc, la métropole, très développée, même si on retrouve aussi à sa sortie des bidonvilles. On l’appelle « Casa la Blanche » parce que toutes les maisons sont peintes en blanc. Nous avons logé la première nuit chez Leila, Taleb et leurs quatre fils - Leila est la sœur de Fatna. C’était la deuxième fois que nous nous retrouvions chez eux. Des gens avec un grand cœur avec qui nous avons eu beaucoup de plaisir et de complicité. Ils nous ont promenés dans la ville pour en avoir un bon aperçu. Nous sommes notamment arrêtés devant la grande mosquée qui est la deuxième plus grande au monde après celle de La Mecque. J’ (Jeanne-Mance) ai préparé le pain avec Leila et Fatna m’a peinturé les pieds et les mains avec du henné. De superbes dessins d’ailleurs. Puis le lendemain, nous sommes demeurés chez les parents de Mohammed qui nous ont chaleureusement accueillis.

Le mardi, j’ (Gilles) avais une rencontre à Rabat avec Mme Malika Ghefrane qui est directrice du Fonds d’appui à l’égalité entre les sexes. Mme Ghefrane était déjà en contact avec le CRI-VIFF, le centre de recherche avec lequel je suis affilié. Elle est impliquée dans le travail contre la violence à l’égard des femmes depuis des années et elle a joué un rôle important dans la mise en place de la politique adoptée par le Gouvernement du Maroc en 2004. Nous avons eu des échanges très fructueux et fort intéressants. Puis en fin d’après-midi, Mohamed et moi sommes revenus à Casablanca. Le mercredi a permis de régler plusieurs questions administratives et de faire l’enregistrement du dvd de la conférence pour l’ACFAS grâce au soutien du frêre de Fatna qui avait tout arrangé. Nous sommes allés prendre le thé en fin d’après-midi chez la mère de Fatna où nous avons aussi connu son frère et ses deux sœurs. Un autre accueil très chaleureux.

Puis, en fin de soirée, c’était le temps des adieux puisque nous prenions l’avion pour notre deuxième séjour dans le désert et que le départ vers l’Irlande devait suivre immédiatement après. C’était intense de dire adieu à des gens qu’on aime avec qui nous avions passé un mois. Chose certaine, nous resterons en contact malgré la distance qui nous sépare.






Commentaires sur les réalités masculines au Maroc

Nous ne répéterons pas toutes les mises en garde habituelles qui s’appliquent ici comme ailleurs. Par ailleurs, nous avons eu la chance de demeurer un mois au Maroc, soit un peu plus longtemps que dans la plupart des pays que nous avons visités, de demeurer principalement dans des familles et de discuter avec près de quarante personnes qui nous ont parlé de leur vécu et leur histoire personnelle. Les Marocains et les Marocaines sont aussi des gens très ouverts qui parlent facilement d’eux, en toute simplicité. Cependant, les recherches sur les masculinités au Maroc sont rarissimes. Rappelons aussi que la société marocaine est diversifiée : la majorité de la population est d’origine Arabe mais on retrouve une forte minorité Berbère ainsi que des gens d’origines diverses : Touaregs, Bédouins, Européens, etc.

Aussi, l’Islam est la religion la plus répandue mais elle est pratiquée de manière très différente selon les ethnies, les classes sociales et les familles. Cela crée des différences importantes sur le plan de la manière de vivre sa masculinité. Par exemple, certains hommes nous ont dit qu’ils s’identifiaient d’abord comme Musulmans, ensuite comme Arabes et enfin comme Marocains, alors que d’autres s’identifient d’abord comme Marocains, ou comme Berbères. De manière générale, la religion semble occuper une plus grande place chez les Arabes comparativement aux autres groupes ethniques. Par exemple, à plusieurs occasions dans les discussions avec des hommes Arabes, ceux-ci invoquaient le Coran pour expliquer leurs positions sur telle ou telle question, citant même les versets correspondants, ce que nous avons moins expérimenté avec des hommes Berbères ou Touaregs, même s’ils étaient musulmans. Ainsi, pour ces hommes, leur interprétation du Coran devient le principal prisme à partir duquel ils analysent la société et définissent les comportements à adopter.

Un peu comme dans nos villes et villages au Québec dont le centre se situe autour de l’église catholique, au Maroc, tous les villages et les quartiers des villes sont construits autour de la mosquée. À tous les jours, cinq fois par jour, on peut entendre l’appel à la prière lancé à partir de puissants haut-parleurs au sommet des minarets des mosquées. Parfois cela donne une certaine cacophonie lorsqu’on entend en même temps les chants religieux de deux ou trois mosquées du secteur qui s’entremêlent. Ainsi, les hommes sont conviés à faire la prière. Celle-ci peut se faire à la maison, au travail ou encore à la mosquée. Chacun sort son petit tapis, enlève ses souliers et prie. Habituellement, la prière est précédée par un rituel d’ablution au cours duquel les mains, le visage et les pieds sont lavés à trois reprises. Les femmes et les enfants peuvent se joindre mais ne sont pas tenues d’effectuer la prière ou de se rendre à la mosquée. Le vendredi midi, tous les hommes sont conviés à se rendre à la mosquée pour entendre le prêche de l’iman. Cela donne un premier aperçu des rôles différenciés entre les hommes et les femmes. En fait, les hommes reçoivent les « instructions » de l’iman et doivent voir par la suite à établir les règles de la maison. Même si le Coran établit en principe l’égalité entre les hommes et les femmes (Malchouch, 2005), dans les faits, en s’adressant aux hommes comme ceux qui doivent prendre les principales décisions, tout comme en ne permettant seulement aux hommes de devenir imans, l’Islam, comme plusieurs religions d’ailleurs, donne préséance aux hommes. De plus, le Coran considère que les rôles masculins et féminins doivent être définis et en ce sens, établit clairement le rôle de gagne-pain pour les hommes et la responsabilité de s’occuper des enfants pour les femmes (Malchouch, 2005).

Quoique cette division des rôles tend à changer considérablement dans le Maroc moderne où les femmes travaillent de plus en plus et les hommes prennent davantage part aux soins des enfants, il n’en demeure pas moins que la pression de la tradition occupe encore le premier plan. Ainsi, seulement 27,3% des femmes sur le plan national sont sur le marché du travail, un peu plus en campagne 30,2%, soit un écart sur le plan national de 52,4% avec les hommes (Gouvernement du Maroc, 2006 : 6). Lorsque le couple se sépare, la garde des enfants est automatiquement confiée à la mère. Souvent, le père disparaît complètement et, comme nous l’avons vu quelques fois, c’est sur le fils aîné que porte la responsabilité de gagner les sous pour la famille. Par exemple, un jeune homme de 27 ans confiait qu’il a cessé l’école à 16 ans même s’il aimait beaucoup étudier et avait des ambitions plus élevées. Cependant, ses parents venaient de divorcer et la famille n’a plus eu de nouvelle du père. Il a donc commencé à exercer divers petits emplois pour permettre la survie de la famille. Son frère et sa sœur plus jeunes peuvent continuer leurs études grâce au soutien de leur frère aîné. En fait, comme le souligne Malchouch (2005), dans la culture marocaine, un homme qui n’assume pas son rôle de pourvoyeur et est incapable de faire vivre les femmes qui l’entourent (sa conjointe, sa mère ou sa sœur) est considéré comme n’étant pas un « vrai homme ». « Être un vrai homme » au sens de l’idéologie de la masculinité en vigueur au Maroc, nous dit-il, c’est aussi exprimer force, courage, confiance en soi, voire même agressivité et violence, jamais sa faiblesse ni sa vulnérabilité. L’homme Marocain se doit d’être dominant à la maison tout comme à l’extérieur. Malchouch considère que cette idéologie de la masculinité telle que véhiculée au Maroc va à l’encontre des principes de l’Islam. Il cite plusieurs extraits du Coran pour appuyer sa position.

En fait, plusieurs interprétations du Coran se confrontent au Maroc et cela représente une partie importante du portrait concernant les relations entre les genres. Rappelons-le, le Maroc est aux confins de l’Afrique, du monde Arabe et à proximité de l’Europe. Cette position géographique trouve son pendant dans sa position idéologique. Au début du nouveau millénaire, un important débat, orageux même nous a-t-on dit, a eu lieu autour d’une proposition de Plan d’intégration des femmes dans le développement. Ce plan proposait des changements importants menant à l’égalité des femmes avec les hommes. Or, les pressions du mouvement fondamentaliste ont eu raison du plan qui n’a pas pu être adopté. Par la suite, le débat a repris dans le cadre d’une commission chargée de proposer une refonte du Code de la famille, commission qui a produit finalement deux rapports : l’un qualifié de « progressiste » qui proposait plusieurs modifications favorisant l’égalité des femmes avec les hommes et le deuxième qualifié de « fondamentaliste » s’appuyant sur la charia. Finalement, SM le roi Mohamed VI a fait la différence en tranchant en faveur du projet dit progressiste (Ghefrane, entretien personnel, 2008; SÉFEPH, 2006). Ce nouveau code est particulièrement important puisqu’il enlève le principe de tutelle qui prévalait auparavant à l’égard des femmes. Les femmes sont devenues ainsi sujets de droit. Par la suite, plusieurs autres mesures ont été prises dans le même sens, notamment la Stratégie nationale de lutte contre la violence envers les femmes adoptée en 2004 et l’Initiative Nationale de Développement Humain lancée par le roi en 2005 et devenue la première priorité du gouvernement marocain qui touche aux questions relatives à l’égalité des genres mais aussi à la scolarisation et à la pauvreté qui demeure endémique au Maroc. Ces mesures, de même que la signature des grandes conventions internationales, inscrivent clairement le Maroc « dans une ère d’ouverture, de tolérance, de droit international et de démocratie » (Femmes du Maroc, 2008). Bien sûr, cela ne signifie pas que l’égalité des genres soit acquise puisqu’il reste encore de grandes « marches à monter » avant d’y arriver. Cependant, il n’en demeure pas moins que le Maroc a connu d’importantes avancées dans le domaine au cours des dernières années, même si le nombre de femmes dans les lieux de pouvoir demeure infime. Cela nous amène d’ailleurs à questionner fortement les positions de certains organismes internationaux qui jugent l’avancement dans ce domaine à partir de critères rigides. Par exemple, une féministe américaine écrivait dans un rapport sur le Maroc que « juger de la modernisation d’une société, c’est notamment regarder la place que les femmes occupent dans la vie publique » (RTI International, 2006 :6). Or, c’est sur la base notamment de ce critère que le Maroc a reculé, même « dégringolé » (Bakhkhat, 2007), dans le classement mondial sur l’égalité entre les hommes et les femmes malgré les grandes avancées des dernières années, ce qui est plutôt démobilisant pour les militants et les militantes qui travaillent sur la reconnaissance des droits humains et plus spécifiquement concernant ceux des femmes au Maroc.

Il faut voir aussi que le Maroc demeure un pays pauvre. Le Secrétariat d’État chargé de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées notait dans son rapport de 2006 que la pauvreté continue à progresser, contrairement à d’autres pays, que le chômage est devenu « endémique », que la baisse du taux d’alphabétisation demeure « faible » et que l’augmentation du revenu moyen par habitant reste « insuffisante » (p.7). Cette pauvreté amène diverses stratégies de survie, notamment chez les hommes pour assumer leur rôle de pourvoyeurs. Certains quittent le pays, ou cherchent à le quitter, espérant un avenir meilleur ailleurs. Je pense notamment à un touriste rencontré au cours de notre séjour dont un Marocain, sachant le mariage entre conjoints de même sexe légal dans son pays, voulait le marier pour émigrer, ou encore cet autre qui voulait installer une cache sous le véhicule d’un touriste Français pour passer la frontière. D’autres raffinent leurs stratégies de vente auprès des nombreux touristes : apprentissage de plusieurs langues, jeu de négociation, charme et séduction, camouflage de pacotilles pour les faire passer pour des produits de qualité, ou encore prostitution. On comprend aussi que le taux de chômage élevé de même que les bas salaires créent une pression très forte sur les familles. Cela est d’autant plus vrai en milieu rural. « Depuis quelques dizaines d’années, le Maroc connaît de fréquentes sécheresses et des précipitations irrégulières de sorte que la productivité agricole a diminué. La pauvreté rurale a donc augmenté et il existe un contraste frappant entre les conditions de vie en zone urbaine et en zone rurale » (Juma, 2004). Juma rapporte également que, en 2004, plus de 25% de la population rurale vivait sous le seuil de la pauvreté comparativement à 12% en ville.

En matière de santé, Juma (2004) considère que le Maroc « se tient loin derrière la plupart des pays de la région » en ce qui concerne son système de santé. Il faut dire que seulement 15% de la population est couvert par un régime d’assurance santé. Ainsi, l’espérance de vie à la naissance en 2002 était de 68,8 ans pour les hommes et 72,8 ans pour les femmes. Juma rapporte que le taux de mortalités périnatales demeure élevé. Par ailleurs, le Maroc connaît une augmentation du cancer du poumon chez les fumeurs, surtout chez les moins de 40 ans. Rappelons que ce sont essentiellement les hommes qui fument au Maroc puisque 31,5% des hommes fument comparativement à seulement 0,6% des femmes (El Azizi, non daté). Par ailleurs, les Marocains parlent relativement facilement d’eux, ils disent parler assez librement à leurs bons amis de choses personnelles, beaucoup plus que ce que les Occidentaux, en général, rapportent. Il faut dire aussi que les services sociaux sont pratiquement inexistants au Maroc. Pas de travailleurs sociaux ou de psychologues à consulter. Tout le soutien s’appuie sur la famille et les amis. Par ailleurs, les réseaux de soutien d’effritent de plus en plus à mesure que les familles se dispersent dans différentes villes pour y chercher du travail.

Sur le plan de la sexualité, la culture marocaine semble « jouer à l’autruche ». Les prescriptions religieuses et légales sont très claires : aucune activité sexuelle en dehors des liens du mariage. En même temps, comme dans plusieurs pays, les pressions sont grandes pour élever l’âge du mariage, diminuer le nombre d’enfants par famille, etc. Les jeunes ont maintenant accès à des images de sexualité explicites qui leur parviennent par les émissions de télévision d’un peu partout dans le monde (chaque maison a sa coupole), ils et elles utilisent Internet, bref, ils et elles veulent vivre une jeunesse à l’image des jeunes en Occident. Certes, le coût à payer est nettement plus lourd pour une fille que pour un garçon. Par exemple, la revue Femmes du Maroc, rapportait dans son édition de mars dernier que, comme le Code pénal punit d’emprisonnement allant de un mois à un an « toutes personnes de sexe différent qui n’étant pas unies par les liens du mariage ont entre elles des relations sexuelles », sous couvert de cet article, une femme de Taounate enceinte à la suite d’un viol par un membre de sa famille a été incarcérée six mois. On nous rapportait aussi une histoire récente d’un homme de Casablanca qui aurait demandé le divorce au lendemain de son mariage après avoir constaté que sa conjointe n’était pas vierge. D’autres procèdent autrement, surtout si elles ont les sous nécessaires. Notamment, on nous rapporte que le nombre d’avortements (illégal au Maroc) de même que le nombre de filles qui se font refaire un hymen augmentent considérablement.

Cette politique de l’autruche se voit aussi dans la manière d’envisager l’homosexualité. Ainsi, même si l’homosexualité est illégale, voire sujette à l’emprisonnement, plusieurs disent qu’elle est très répandue (Dahbi, 2007; Jeunes du Maroc, 2004; blog gay, non daté). Certains l’expliquent par le l’histoire rappelant que, jadis, il était bien vu que les caïds soient accompagnés de leurs « eghoulems », ces jeunes hommes qui s’occupaient de leurs soins : les laver, les habiller, mais aussi les caresser et leur offrir des faveurs sexuelles. D’autres l’expliquent par le fait que les garçons et les filles grandissent dans des univers séparés et que les relations sexuelles sont fortement interdites avant le mariage. Ainsi, plusieurs jeunes s’adonneraient, selon eux, à des pratiques sexuelles avec des personnes du même sexe. En fait, il semble y avoir une certaine tolérance à deux conditions : 1. ces rapports doivent demeurer « purement physiques », discrets, voire clandestins, et 2. le garçon doit demeurer « viril » en gardant un rôle dit « actif ». La société marocaine semble plutôt intolérante à l’idée que deux hommes puissent s’aimer. En fait foi l’histoire du faux mariage homosexuel de novembre 2007 qui a conduit à l’arrestation et à des peines d’emprisonnement de six hommes présumés avoir eu des relations sexuelles entre eux (Dahbi, 2007). Cette histoire avait donné lieu à une manifestation fondamentaliste exigeant des peines sévères aux hommes en question. La liste de tous les participants à cet évènement a été publiée dans les journaux. Par ailleurs, celui qui est perçu comme « efféminé », le « passif » dans la relation sexuelle, est rapidement ridiculisé et sujet à l’opprobre sociale (blogs gays du Maroc). Souvent rapportent des homosexuels marocains, ils doivent quitter la famille et le quartier. Un blog résume la situation en rapportant les propos de Mme Mseffer :

Pour Assia Mseffer, psychologue à Casablanca, cette homophobie a deux raisons principales. La première, évidente, est directement liée à l'Islam, religion d'État, qui condamne sans appel l'homosexualité - au même titre que toute autre forme de "négociation affective", amoureuse ou sexuelle. La seconde raison tient à ce que l'homosexualité est considérée comme un délit et, à ce titre, est illégale. Ainsi, les principaux fondements de notre société, que sont la religion et la loi, renvoient de l'homosexualité l'image d'une perversion et d'une déviance sexuelle. Pas simple dans ces conditions d'aller à l'encontre de tant de certitudes ! et la société marocaine s'est engouffrée dans la brèche des "petits arrangements". Notamment en s'appuyant sur une distinction, culturellement très forte, entre l'actif et le passif et en restant arc-boutée sur cette "autre hiérarchisation de l'espace homosexuel". Une personne qui est identifiée comme active peut se permettre d'avoir des rapports sexuels avec des hommes, du moment qu'il garde tous les attributs de la virilité. Il est un homme, il continue à assumer son rôle d'homme. C'est celui qui choisit, le rôle de la femme, qui est socialement méprisable.

Le même gay marocain écrit aussi que la société marocaine est, selon lui, la plus tolérante, la plus ouverte et la plus occidentalisée des pays arabo-mulsumans et il espère que le Maroc continuera sur cette voie d’ouverture.

En conclusion, au cours de ce mois, nous avons pu observer à plusieurs occasions à quel point les hommes et les femmes du Maroc sont particulièrement, sympathiques, sociables, chaleureux, de contact facile et agréable, exception faite de l’éternelle négociation pour tout achat qui devient lourde pour nous, Occidentaux. Il faut alors penser que tous ces gens sont en situation de survie. En même temps, quand on regarde plus largement, ils et elles sont aux prises avec des règles et des normes religieuses et légales qui sont lourdes et limitent parfois, à notre avis, la qualité de leurs relations. Par exemple, cela représente un poids énorme sur les hommes d’être les uniques pourvoyeurs alors que les salaires sont bas et le chômage endémique. De même que le poids est tout aussi énorme sur les femmes qui doivent s’occuper seules de toutes les tâches ménagères et des soins aux enfants dans une société qui a encore relativement peu de commodités : cela signifie faire la lessive à la main, préparer le pain, aller au marché à tous les jours et y négocier le prix du moindre achat, s’occuper des enfants – quatre, cinq, six et parfois plus, et dans la campagne, participer aussi aux tâches de la ferme familiale. On peut comprendre que, lors des fins de journée, avec une pression aussi grande et la fatigue accumulée, le stress aidant, les tensions peuvent éclater au sein des couples et dégénérer en violence. Si l’accent était mis, non pas sur les règles à suivre, mais sur le dialogue, le soutien et l’entraide, peut-être que cela leur donnerait plus de chances. « N’oublions pas que dialogue et concessions sont les mots clés d’une vie à deux réussie », disait une revue de psychologie populaire s’adressant aux femmes marocaines remettant en question le rapport dominant-dominée figé au sein du couple (Pannès, 2008 : 59).


Remerciements

Notre premier merci va en tout premier à Mohamed, Fatna et leur petite fille Aya pour leur accueil, leur hospitalité, leur générosité et leur complicité. Merci à leurs voisins de pallier Hafida, son mari et leurs enfants pour les suggestions de visites qu’ils nous ont faites et le bon temps passé avec eux. Merci à la sœur de Fatna, Leila et Taleb son mari et leurs quatre enfants avec qui nous avons eu beaucoup de complicité, notamment lorsque j’ (Jeanne-Mance) ai partagé la fabrication du pain, et nous avons apprécié leur générosité, dont bien sûr, Taleb qui nous a servi de chauffeur à quelques reprises. À Fatima, la nièce de Fatna. Merci à la mère de Fatna et ses sœurs et son frère qui nous ont reçus pour le thé et la collation de fin d’après-midi. Un merci particulier à son frère qui a tout organisé pour la réalisation du dvd de la présentation pour le congrès de l’ACFAS. Un merci spécial aux parents de Mohamed qui nous ont ouvert leurs portes pour dormir avec toute leur grande générosité. On ne pourrait passer sous silence la famille Essajdani d’Agadir qui nous a si chaleureusement accueillis. Un merci à Cécile, Michèle, Inge et Ludovick avec qui nous avons bien ri, partagé de bons repas au bivouac. Merci aux équipes des bivouacs de M’Hamid et de Chigaga, ainsi qu’à Mohamed, notre chauffeur. Merci aussi à Mme Malika Ghefrane du FAES qui m’ (Gilles) a initié à l’importante démarche réalisée dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes au Maroc. Merci aussi à la collaboratrice de Mohamed qui nous a invités à son mariage. Merci à l’équipe du Centre culturel saoudien qui nous a invités à partager leur repas de fête avec elle.


Références

Bakhkhat, D. (2007). Le Maroc dégringole dans le classement selon l’indice sur l’inégalité hommes-femmes (World Economic Forum). Eco Maroc, 15 novembre 2007. Journal en ligne disponible sur Internet à : EcoMaroc Le Maroc dégringole dans le classement selon l’indice sur l’inégalité entre hommes-femmes (World Economic Forum).mht.

Dahbi, O. (2007). L’affaire du faux mariage homosexuel s’avère être une manipulation politique. Aujourd’hui le Maroc, 29-11-2007. Disponible sur Internat à : www.aujourd’hui.ma

El Azizi, A. (non daté). La santé en fumée. Disponible sur Internet à : La santé en fumée.mht

Femmes du Maroc (2008). Quelles perspectives pour la cause des femmes au Maroc ? Entrevue avec Malika Ghefrane. Femmes du Maroc, 1er mars 2008.

Femmes du Maroc (2008). Code pénal : ces discriminations qui nous étouffent ! Femmes du Maroc, 1er mars 2008

Gouvernement du Maroc (2006) Rapport genre – annexé au Rapport économique et financier 2006. Rabat : Gouvernement du Maroc. Disponible sur Internet :

http://www.finances.gov.ma/depf/dpeg_action/genre/rapports/2006/Rapport_Genre_lf06_fr.pdf.

Jeunes du Maroc (2004). L’Homosexualité au Maroc : Il faut en parler… Jeunes du Maroc, 8 octobre 2004. Disponible sur Internet.

Juma, S. (2004). Projet de développement rural intégré pour la mise en valeur des zones beurs. Washington. Disponible sur Internet.

Malchouch, M. (2005). Gender & Masculinity in Islam. Disponible auprès de l’auteur.

OMS Bureau du représentant au Maroc (2008). Extrait du Rapport mondial sur la santé dans le monde 2004 – Données statistiques relatives au Maroc publié 2007. Disponible sur Internet.

Pannès, P. (2008). Quand le pouvoir se conjugue à deux. Femina Mag, (1) avril 2008, 58-59.

RTI International (2006). Local Governance Program (LGP) – Morocco. Stratégie pour l’intégration de la dimension de genre. Rabat : United States Agency for International Development.(USAID) – Morocco.

Secrétariat d’État chargé de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées (2006). 3e campagne nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes Du 20 novembre au 5 décembre 2005. Rapport. Rabat : FAÉS, SÉFEPH et FNUAP.

Non signé (2008). L'homosexualité au Maroc : haram et hchouma - Le blog d'un marocain. Être gay au Maroc...et si on en parle? Lundi 7 janvier 2008. Disponible sur Internet.

Non signé (non daté). Blog de être gay – L’homosexualité au Maroc. Entrevue avec 5 gays du Maghreb qui habitent maintenant le Québec. Disponible sur Internet à : Skyrock.com


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Quel complicité avec vos contacts.Vraiment c'est allucinants de lire,et de sentir leurs hospitalité,a votre égart..Cela permet de réaliser que partout dans le monde,il y a des gens,exceptionnnels..Bravo pour le texte....j'ai bien aimé...lyse et bobxxxx

Anonyme a dit…

Les photos qui accompagnent vos textes sont très éloquentes...surtout celles où l'on vous voit ensembles, toujours resplendissants de bonheur et de complicité.

Bravo et bonne continuation!

Jean